Le livre d’Alain Mabanckou, déjà adapté au théâtre, devient un album de rumba.
Col pelle à tarte, chaussures italiennes, costume trois pièces deux couleurs un tissu, pas de doute, le héros du roman Black Bazar règne en sapeur – un artiste de la sape dans les rues de Paris. Le personnage s’autoproclame Fessologue, passé maître dans l’art de juger les fesses – les « face B » – des femmes. Voilà les yeux de ce fringuant narrateur qui dévoilent un panorama de la diaspora africaine à Paris.
Château Rouge et Château d’eau, les deux bastions de la négritudemade in Paris, sont le théâtre de ce tour d’horizon pétri de clichés de comptoir, de racisme ordinaire, d’une fête continue d’apparence déguisant les galères d’être en France.
Le roman de l’écrivain Alain Mabanckou sorti en 2009 a été un joli phénomène lors de la rentrée littéraire cette année-là. La consécration après avoir déjà été auréolé du Prix Renaudot en 2006 pour Mémoires de porc-épic, son roman précédent. Best-sellers traduits, l’auteur est aujourd’hui professeur émérite de ittérature francophone à la prestigieuse université californienne UCLA.
À travers une galerie de personnages à la fois plus vrais que nature et trop gros pour l’être, vrais, Mabanckou caricature ce qu’on croise de communautés dans les deux châteaux. « L’Arabe du coin » panafricain à tout prix, façon Kadhafi, Roger le pilier franco-ivoirien, Paul du Grand Congo et ses débats sur Tintin, l’écrivain haïtien aux accents latins…
Black Bazar livre une vue d’ensemble qui joue du cliché comme on joue des coudes, pour dire d’abord qu’on existe. Un abrégé d’Afrique tout à fait stylisé et à merveille illustré, imagé. Ce racisme ordinaire et les stéréotypes nationaux balancés sur le zinc de Black Bazar sont bizarrement une arme contre le racisme au sens large, les préjugés globaux.
Ci-dessous, extrait de la pièce Black Bazar adaptée du roman, présentée au festival d’Avignon.
Rire à la Desproges en disant que l’Italien est un voleur, c’est déjà le distinguer des autres Européens. Dire que le Sénégalais est un intellectuel ou que le Camerounais est ronchon, c’est une distinction en forme de premier pas vers la connaissance des différences. Un racisme de chantier bien plus débonnaire, que celui des beaux quartiers, planqué sous de l’empathie de surface.
Un premier pas qui doit être suivi d’une curiosité plus grande, cela va sans dire. On a pu lui reprocher de fournir une sorte de guide de la blackitude pour les non initiés, c’est justement toute la force du livre.
Faire pénétrer Monsieur tout le monde, dans les dédales compliqués du grand Black Bazar parisien. De quoi gratter doucement mais résolument la surface pour révéler une porte cachée. Une porte d’accès. Il faudra juste continuer à avancer même quand Alain Mabanckou nous aura laché la main.
Un fonds de commerce à 360°.
Aujourd’hui, après l’avoir adapté au théâtre, et avant de le décliner au cinéma, l’écrivain de Brazza l’adapte en musique ; un disque fleurant la rumba dans la plus pure tradition congolaise. Pour le film à venir, il aimerait d’ailleurs piocher la bande originale dans cet album. Un fonds de commerce à 360°.
Un album éponyme, avec 10 titres, dont deux écrits par Mabanckou, que l’auteur et ses musiciens sont venus présenter au micro de Bintou dans l’émission Néo Géo. On entend du français, du lingala, dans le texte.
L’écriture reprend certaines couleurs du roman. Un portrait de sapeur, par exemple, ou simplement le titre Fessologue, surnom du narrateur. Alain Mabanckou voulait éviter les dédicaces à gogo qui jonchent selon lui la rumba d’aujourd’hui. Parfois les lyrics sont un peu faciles, comme dans le premier titre Black Bazar Face A :
« Justice blanche, misère noire
La bête noire c’est toi
C’est écrit noir su blanc »
Black Bazar en live dans nos studios ci-dessous
Les mélodies sont, elles, dans le haut du panier de la rumba congolaise. Bintou ne mâche pas ses épithètes devant ses invités : « de magnifiques chœurs, des solistes des plus soul, des accompagnements rythmiques bien ronds, des perles de guitares inoubliables ». Les voix invitées (Mabanckou ne chante pas) ont la pureté d’un grain d’église, des harmonies aigues en voix de tête.
« À la guitare c’est Zéro Faute, parce qu’il ne fait jamais de faute d’accord » Mabanckou a un truc pour les surnoms. Derrière les airs, Zéro Faute creuse une vallée de grands riffs chaloupant comme il faut.
L’influence principale c’est la guitare virtuose d’un Franco, chantre de la rumba. Franco est d’ailleurs omniprésent dans la littérature de Mabanckou. L’album veut sonner comme « un retour aux fondamentaux ». Un brin réac, l’équipe de Black Bazar n’aime pas les nouveaux sons de Brazza, les musiques « pleines de machines » comme le coupé-décalé qui font mal au Ndombolo plus tradi. Eux louent l’enregistrement live, jazzy, la virtuosité concrète. Ce son à l’ancienne, c’était la condition sine qua non de l’album pour l’écrivain congolais.
Bintou compare l’aventure Black Bazar au film de 1986 Black Mic-Mac, le film qui a révélé le génial acteur ivoirien, fétiche de Jim Jarmush, Isaac de Bankolé.
Mabanckou assume la filiation. Dans le livre comme pour l’album : « c’est un album panafricain ». Parce que si la rumba domine, le groupe ne vient pas que de Bacongo ou de Pointe-Noire. Il y a là les deux rives du fleuve congo. Des musiciens du petit Brazza mais aussi de la tentaculaire Kinshasa.. Et un Sénégalais, et une Camerounaise, même un Cubain.
C’est la sauce Mabanckou, faire un méchoui de la diaspora pour porter haut les couleurs de ses racines à lui, congolaises.