Reprendre Blanche Neige, sans s’abîmer sur le Charybde de la trahison, ni sur le Scylla de la redite. Qui pour s’atteler à cette sinécure ? Une main se lève, pleine d’audace : celle du chorégraphe Angelin Prejlocaj, un habitué des tréteaux bordelais.
Les plus ancien.ne.s s’en souviennent peut-être : l’Aixois d’adoption avait présenté l’une de ses toutes premières créations lors du festival Sigma ; c’était en 1985, voici d’ailleurs une archive, précieusement encapsulée par l’INA, qui en atteste (flanquée d’un présentateur qui a quelques difficultés à prononcer le blase de l’intéressé).
Trente-cinq ans plus tard, à la tête de sa virtuose compagnie de ballet, Angelin Prejlocaj s’attèle donc à bousculer le conte canonisé par les frères Grimm (dont les innombrables variations, au cinéma notamment, sont bien évoquées ici). La mise au point de ce spectacle remonte à 2008 ; c’en est toujours à couper le souffle. La musique ? Piochée dans le répertoire symphonique de Gustav Malher. Les costumes ? Nés du coup de crayon de Jean-Paul Gaultier. Deux éléments parmi d’autres qui contribuent à faire de cette pièce baroque un must, mêlant la narrativité du conte, le sous-texte psychanalytique (hérité des travaux de Bettelheim) et la noirceur romantique, fantastique, d’une interprétation virevoltante assurée par les vingt-cinq danseur.se.s de la troupe.
« J’avais très envie de raconter une histoire, affirme Prejlocaj, d’ouvrir une parenthèse féerique et enchantée. Pour ne pas tomber dans mes propres ornières sans doute. Et aussi parce que, comme tout le monde, j’adore les histoires. » Et au cœur de celle-ci, il n’y a plus l’innocente demoiselle à la peau de neige, aux joues de sang et aux cheveux d’ébène. Elle est toujours là, bien évidemment, mais émergeant des périphéries archétypales, c’est la marâtre, l’hiératique reine noire, l’invocatrice de malédictions, qui prend la lumière dans ces impressionnants tableaux.
Miroir, mon beau miroir, dis-moi où cela se passe. Au Grand-Théâtre, tu dis ? C’est noté – et pas dans la marge. Et pour empocher une place, c’est possible aussi ? Ah, ICI-MÊME ; OK, J’Y VAIS.
Blanche Neige, du Ballet Prejlocaj, du 29 juin au 8 juillet @ Opéra National de Bordeaux.