Retour sur l’histoire du rap boulonnais, une école qui a formé des générations d’emcees et dont l’influence se ressent encore aujourd’hui. Entre consécrations et déceptions, ces passionnés ont pourtant bien réussi à placer Boulogne sur la carte du rap français.
Boulogne, une école du rap français, nouveau livre de Nicolas Rogès nous embarque Ouest Side. Après avoir décortiqué 100 classiques de la Soul et retracé le parcours de Kendrick Lamar, Nicolas Rogès met le cap sur Boulogne, terre fertile du rap français, pour récolter les témoignages de ceux qui ont participé à son histoire. Le résultat est un livre-documentaire qui dépeint une fresque dans laquelle la solidarité côtoie la déception et la colère, l’héritage d’une école dont on peut tirer de nombreuses leçons.
Le Pont de Sèvres fait ses classes
La scène rap de Boulogne a laissé une empreinte indélébile dans le rap français dès le début des années 90. Elle a su imposer le neuf-deux comme un département incontournable pour les auditeurs de rap, à une époque où la région était surtout perçue comme une zone bourgeoise, à la street cred à peu près inexistante. Dans les années 2000, après les hauts-faits des Sages Poètes de La Rue, de Lunatic et du collectif Beat de Boul, la scène rap entre dans une guerre des clochers qui plombe son ascension collective, laissant à des figures uniques le soin de représenter le duché de Boulbi, à l’image du micro-preneur Booba.
Le journaliste Nicolas Rogès déroule cette frise chronologique passant des années 90s, ère des Sages Po’ (Zoxea, Melopheelo, Dany Dan), aux années 2000 (Salif, LIM, Sir Doum’s Booba…) jusqu’à 2023 en donnant la parole à des héritiers de cet écosystème comme Tuerie et Tissmey, des silhouettes actuelles dont le flow et le langage sont marqués par l’historique du rap boulonnais, qui formait une école du rap français.
Si l’auteur, Nicolas Rogès, choisi cette métaphore scolaire pour sous-titrer son enquête, c’est parce que les rappeurs de Boulogne de la première heure ont développé et enseigné, lors de sessions ouvertes sur la Place-Haute, un art de rapper typiquement boulonnais. Riche en assonances, figures de style et en rime en -eur (gachette presseur, micro preneur, cuir porteur…). C’est là l’une des particularités du rap de Boulbi, l’utilisation d’un langage vernaculaire, propre à cette école du rap. Autre exemple, la fameuse langue des Z, sorte de javanais inventée par Zozoxeazea (Zoxea, dont le meilleur exemple est le génial « Hymne du Mozoëzet », chanson dédiée à son amour pour la marque de champagne Moët).
Ces cours de flows officieux formeront une flopée de diplômés du micro certifiés, et cette école mutera en collectif, le Beat de Boul, dans lequel plusieurs générations se sont côtoyées. C’est une association de rimeurs dont les répercussions sur l’écosystème du hip-hop se ressentent encore aujourd’hui, et qui partageait pour la plupart une origine sociale en lien avec l’histoire économique de Boulogne.
Aux usines Renault de l’île Seguin
Pour mieux comprendre d’où ont émergé tous ces talents, l’ouvrage commence par revenir sur l’histoire de la ville où une industrie automobile s’est développée au cours du XXᵉ siècle. La population est donc partagée entre une franche aisée et des familles d’ouvriers, arrivées dans le département pour servir de mains d’œuvre au travail à la chaine, et qui habiteront dans des logements séparés physiquement des beaux quartiers.
Ce décalage est conscientisé chez celles et ceux qui deviendront les figures de la scène hip-hop de Boulogne, fils et filles d’ouvriers des usines Renault de l’île Séguin, et va guider la plume de certains artistes de la ville vers des thèmes sociaux. Les rues où se croisent skinheads, bourgeois et habitants des cités HLM sans jamais se mélanger, on peut les entendre dans les 16 mesures des textes-gratteurs locaux marqués par l’envie d’améliorer leur condition tout en dénonçant les responsables (système, état, et ses représentants).
Le rap de Boulogne, c’est aussi l’histoire d’un homme, Zoxea, membre des Sages Po’ qui a su réunir autour de lui des artistes talentueux et dénicher quelques pépites. Malheureusement, l’union ne durera pas et les déceptions s’entasseront bientôt, laissant un goût amer d’“on aurait pu…”, résumé par le même Zoxea sur le morceau « Boulogne Tristesse». Le récit de Boulogne, une école du rap français partage ce constat doux-amer et oscille donc entre succès et regrets, en nous glissant quelques anecdotes recueillies auprès des principaux intéressés.
Certaines sont souriantes (l’Entourage, union de la Cool Connexion et de 1995, né de l’intervention d’un emcee boulonnais), d’autres ressasse des épisodes que certains préfèreraient oublier, et dont les conséquences pèsent lourd dans la politique du rap de Boulogne, l’embrouille entre Zoxea et Booba en est un exemple. Entre séparations, trahisons et disparations, l’histoire du rap à Boulogne est parsemée d’écueils et de regrets qui donnent à réfléchir sur comment les prochains sages pourront marcher, même sous l’orage.
Pour en savoir plus, on vous recommande donc Boulogne, une école du rap français, de Nicolas Rogès, paru aux éditions La Grenade, un ouvrage essentiel pour comprendre la géographie rapologique de ce département qui a déboulonné le hip-hop français. Forcément, la préface est signée Mehdi Maïzi plus fervent supporter du FC Dany Dan, un choix logique quand on sait que la carrière du journaliste animateur a commencé par une interview de ce dernier.