Radio Nova salue un de ses amis chers.
Home is Where The Music Is : le titre d’un album parut en 1972 qui pourrait bien être l’épitaphe, ou alors le mantra, de l’immense trompettiste sud-africain Hugh Masekela dont on apprenait la disparition ce 23 janvier à l’âge de 78 ans à Johannesburg.
Né en 1939 dans un township du Mpumalanga, le tout jeune et très précoce musicien monte un premier groupe de jazz à Soweto, s’illustre dans la comédie musicale King Kong et les Jazz Epistles, avant de fuir l’Afrique du Sud suite au massacre de Sharpeville en 1960. Il s’envole alors vers Londres puis New York. Mais si le trompettiste a passé près de trente ans en exil aux États-Unis, où il a notamment fait ses armes au sein de la très prestigieuse Manhattan School of Music, Hugh Masekela n’a jamais oublié sa terre d’origine à laquelle il reviendra en 1990.
Philanthrope, indéfectible militant panafricain et soutien de Mandela dans sa lutte contre l’apartheid, l’icône Bra U Masekela n’a eu de cesse de diffuser dans le monde entier son jazz intègre et inclassable jusqu’à No Borders, son dernier album en date.
Nous avons contacté une correspondante à Johannesburg, Nicky Blumenfeld, animatrice de l’émission « The World Show » sur la radio indépendante Kaya FM, chaque dimanche soir de 18h à 22h.
Bintou : Triste nouvelle, on a appris la mort de Monsieur Hugh Masekela, qu’on avait l’habitude d’appeler Bra Masekela (Bra pour Brother NDLR) ?
Nicky : Oui Bra Masekela, je crois que tout le monde dans le pays l’appelait Bra U Masekela… parce qu’il parlait aux gens, il les touchait, il ne s’est jamais comporté comme une énorme star alors qu’il en était une. Il s’est toujours souvenu d’aller jouer dans la rue et il a toujours su comment toucher les gens dans leur cœur.
B : Alors qui était Hugh Masekela, pour ceux qui ne le connaissent pas encore ?
N : Hugh Masekela est un artiste reconnu au niveau international. C’est l’un des plus grands artistes de jazz de notre époque. Mais pour moi, il est encore plus que ça. Dans sa musique, il était jazz, mais il embrassait tellement plus de formes de musiques … Une autre chose qu’il est très important de souligner, c’est que musicalement, c’était un pionnier qui a diffusé ce son africain auprès d’un public international. Un son qui n’était pas vraiment compris à cette époque. Aux Etats-Unis, on disait de sa musique que c’était « presque du jazz ». Et lui était très attaché à son identité africaine. Donc à bien des égards, il a largement contribué à changer l’idée que le monde se faisait du jazz. Mais ce qui transparaît aussi énormément à travers son œuvre, c’est son engagement humanitaire. C’était un activiste, pas seulement un musicien : il a beaucoup œuvré, voire dédié sa vie à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. C’était quelqu’un qui a toujours défendu sa foi en une Afrique unie, il a toujours défendu les droits humains, pour que les gens se traitent avec respect et dignité. Donc en cela, il était vraiment un humaniste.
B : Il était malade depuis quelques mois …
N : Oui, il avait un cancer de la prostate et tout le monde savait qu’il n’allait pas bien depuis les six derniers mois… Mais il a travaillé très activement jusqu’à l’année dernière : il a sorti son dernier album l’an dernier, un disque produit par le musicien nigérian basé en Afrique du Sud Kunle Ayo, et il était si heureux d’en parler ! Mais au milieu de l’année dernière, il a arrêté ses concerts, c’était devenu trop difficile pour lui de monter sur scène. Il ne voulait pas que les gens le voient dans les derniers mois, car il disait qu’il voulait qu’on se souvienne de lui tel qu’on l’avait toujours connu alors que sa santé déclinait vraiment. Mais on ne s’attendait pas à ce qu’il meure maintenant… ça a été un choc d’apprendre sa mort aujourd’hui.
B : Nicky vous travaillez à Kaya FM, une radio à laquelle Hugh Masekela était particulièrement lié …
N : Kaya FM a commencé en 1997. C’était la première radio indépendante à se lancer dans la « nouvelle » Afrique du Sud qui appartenait à des noirs. Une radio très consciente de la nouvelle démocratie, de la question « afropolitaine ». Une station avant-gardiste pour les radios dans le pays et pas seulement le reflet d’une nouvelle ère politique. L’idée, c’était de changer la manière même d’émettre et de faire de la radio. Quand Kaya FM s’est lancée, Hugh Masekela programmait de la musique, il a aussi trouvé les fonds pour financer Kaya FM. Il avait également sa propre émission dès les premières heures de la radio. Il la co-animait avec une de nos plus grandes musiciennes et chanteuses Sibongile Khumalo et ils ont présenté cette émission pendant des années ! Mais ils ont fini par être tous les deux trop pris par leurs tournées, les concerts, les soirées… et donc l’émission s’est arrêtée.
L’émission qu’ils animaient s’appelait « Waar Was Jy », qu’on peut traduire de l’argot sud-africain par « Où étiez-vous ? ». Ce qu’ils aimaient, c’était d’aller fouiller dans l’histoire des musiques sud-africaines, de jouer des archives, et de raconter des histoires autour de ces musiques.
B : Merci ! Si vous avez à choisir deux chansons ? Je sais que c’est difficile …
N : Oui c’est très difficile, il avait un répertoire si riche ! Mais le morceau que j’ai choisi vient d’un album très intéressant enregistré en live en 1965, à New-York, au Live At The Village Gate. L’album s’appelle « The Lasting Impressions of Ooga Booga ». Au départ il s’appelait « The Americanization of Ooga Booga » mais les américains n’aimaient pas ça alors ils ont changé le titre. L’histoire de cet album ? Quand il jouait, les gens disaient « mais ce n’est pas du jazz ! On ne sait pas ce que c’est, c’est presque comme du jazz mais ce n’est pas du jazz ! ».
L’album est resté confidentiel pendant quelques années jusqu’à ce que le programmateur d’une radio en Californie ne le trouve, le joue et instantanément c’est devenu un hit ! Dès lors, les américains ont commencé à considérer et à respecter Hugh Masekela en tant que musicien de jazz.
Le morceau que j’ai choisi m’est très cher, il s’appelle « Bajabula Bonke ». En fait, c’est une chanson qui a été écrite par Miriam Makeba qui fut, mais je suis sûre que vous le savez déjà, la femme de Masekela pendant un certain temps. C’est une chanson qu’elle tenait de sa mère qui était une isangoma, c’est-à-dire une guérisseuse traditionnelle. C’est une chanson qui appelle à la bénédiction et à la paix. C’est presque une prière.
Masekela en a fait une version live sur cet album, une chanson vraiment pleine de sens pour moi et pour lui aussi.
L’autre morceau que j’ai choisi vient d’un album qui s’appelle « Black to The Future » et c’est l’un des premiers albums qu’il a sorti quand il est revenu en Afrique du Sud après avoir été en exil pendant tant d’années. Pour moi, c’est devenu une chanson très spéciale que j’ai souvent jouée à la radio : elle parle de philanthropie, de traiter les autres avec dignité et respect. Le morceau s’appelle « Chileshe ». C’est une balade vraiment très très belle qui plaît aux gens et qui leur rappelle leur humanité.
B : Merci beaucoup Nicky et à bientôt en France !
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