Allongée en son logis de l’Île-Saint-Louis, la femme-léopard nous lit « Les fruits confits », chanson-prière inédite où, « dans les neiges d’avril », on jette à la mer « les souvenirs d’enfer ».
« Crevards, miteux, errants, vous êtes le sel de la terre. » La pythie n’est pas sans pitié. Sur le dernier album de Brigitte Fontaine, l’abrasif, radical et aventureux Terre Neuve (paru en janvier et dont le titre lui-même semble dédié au monde qui vient, aux « champs de diamants » qui restent à explorer), nombreuses sont les paroles qui font figures d’oracle, à la lumière de la crise sanitaire. Dès l’ouverture, Le tout pour le tout : « Mais ce que l’on nomme la vie est une maladie mortelle (…) On n’a pas trop peur / On s’agrippe, c’est tout. » Chaque déplacement vous paraît risqué ? Ecoutez-la manifester, sur J’irai pas, qu’elle ne veut pas se rendre « à votre école, à votre hôpital, à vos colonies de vacances ». Et même dans sa reprise de sa chanson virile de 1969, Les beaux animaux, il y a ces vers prémonitoires de la reprise du travail dans un cosmos industriel qui ne tire aucune leçon de la pause imposée : « Les hommes avec des gants (…) vivent dans nos forêts de chaux, de fer et de fumée. »
Toutefois, écrit-elle encore : « Parlons d’autre chose. »
De fruits confits ? Pourquoi pas ? Titre possible et refrain certifié d’une nouvelle chanson versifiée, inédite, que la femme-léopard, agacée de son confinement dans son logis de l’Île-Saint-Louis (Paris), a écrite « allongée, pour le prochain album ». Ciel : nous y sommes en cage, enfermés dans une boîte comme les sucreries des Malheurs de Sophie (1858), mais heureusement « une vierge au masque noir » va nous illuminer. Gouttelettes d’espoir : « Seul un grain de fer luit / étoile dans la nuit / C’est la joie qui revient / là-bas, dans le lointain / En pleine fiente et vase / nous lançons une phrase / blanche plume / est-ce là / la profession de foi ? » Et le monde d’après, Brigitte ? « Je m’en fous. Qu’ils aillent chier. Moi ce qui m’intéresse, c’est le présent. Le passé et le futur, c’est pareil. »
Pour réécouter son interview dans le juke-box littéraire de Radio Nova, assortie de tranches de live au Café de la Danse avec Yan Péchin, c’est ici.
Visuel © Watchmen, de Damon Lindelof (2019).