Clichés ou cadavres exquis ?
Avec la boulimie d’expositions dont nos responsables culturels sont victimes, nous arrive dans le même temps et dans nos musées des choses bizarres…
Qui aurait dit que Tintin et Bernard Buffet seraient réunis au musée ? Car entre Hergé et son héros, et un drôle de peintre mondain des années 50 (Pierre Bergé fut son agent, avant de se consacrer à Yves Saint Laurent !) le tout remonté en surface en 2016, quel sens ?
Le trait de Tintin est tout en rondeur, netteté (la ligne claire) et bourré de gags comiques visuels et aussi de positions burlesques, entouré d’étoiles, de spirales, de gouttes, d’éclairs… graphismes inventés par Hergé pour souligner l’action.
Les personnages de Buffet sont raides, tristes, longilignes, anguleux, cernés d’un trait charbonneux, façon fusain et figés…Tout le contraire. On l’a dit marqué par la guerre, on lui a trouvé des références moyenâgeuses, gothiques ! (alors que c’est le style Roman qui est longiligne avec grands yeux et corps en tronc d’arbre.)
Par contre, aucun des deux artistes n’était un coloriste : la première femme d’Hergé, Germaine nous offrit ces tons rabattus et calmes qui font aussi la force de cette BD.
De son côté Bernard Buffet était marié avec Annabel, mannequin, modèle, actrice, élégante et aussi photogénique que mondaine. Pourtant son mari coloriait ses toiles de tons gris, rabattus, cassés, avec usage des couleurs pures (bleu, jaune, rouge, sortis du tube) juste pour les besoins d’un fond ou d’un personnage.
Buffet fut victime d’un succès fou et se retrouva sur des boutons de manchettes, des posters, affiches et… En couverture de Match ! Il se bloqua sur son style, ne changeant plus rien que les sujets (clowns, toreros, samouraïs…) Académicien, adulé au Japon, atteignant des prix fous, et se répétant sans cesse !
Pareil pour Hergé, dans les mêmes années 50 ! Ses albums firent le tour du monde, traduits en dizaines de langues : l’industrie Tintin allait multiplier les effigies, T-shirts, figurines et tirages couleurs, en plus des albums dépassant le million ! Buffet, malgré ses expositions et rétrospectives à travers le monde, après Saint-Tropez et les mondanités, se retira et finit, malade, par se suicider.
Hergé devint si riche qu’il ne dessina plus, se mit à acheter de l’Art, avouant ses regrets de n’avoir su ou pu peindre et s’aventurer plus loin que les cases de BD.
Sa deuxième épouse bloqua Tintin en fondation, droits d’auteur, contrôle et avocats. Tintin était devenu un business. Et Buffet, le souvenir d’une époque.
ÊTRE VICTIME D’UN SUCCES DEMESURE et INATTENDU, fait que ces deux créateurs, finalement méconnus, controversés, compliqués se retrouvent exposés presque côte à côte, en tant qu’ICONES, c’est à dire cliché global, international.
Les voilà momifiés une seconde fois.
Hergé au Grand Palais. Galeries nationales Du 28 septembre au 15 janvier 2017.
Bernard Buffet. Musée d’Art Moderne (av. du président Wilson) du 14 octobre au 26 février 2017/