La chronique de Jean Rouzaud.
Buster Keaton (1895-1966), ce petit homme au visage triste, aux yeux immenses, avec son canotier aplati et ses vêtements mous, fut un modèle pour tout le cinéma muet, entre Max Linder (le premier prototype français de burlesque échevelé) et Charlie Chaplin (qui remercia ces deux inventeurs précoces).
Buster « casse-cou »
La légende veut que dès l’âge de cinq ans, il était sur les planches avec ses parents, qui se le jetaient à la figure, comme de la vaisselle en pleine scène de ménage comique (d’où le surnom de Buster « casse-cou »).
Mais à côté du jeune homme romantique, qui ne souriait jamais, les années 20 voient apparaître un auteur, réalisateur, acteur, cascadeur très ambitieux.
Pur comique muet, basé sur des acrobaties spectaculaires, inimitables et… coûteuses ! Des cascades dangereuses, très organisées, avec des décors grandeur nature, pour un effet maximum.
Que ce soit sur l’eau, dans l’eau, sur terre ou au bord de précipices, Buster accomplissait des scènes stupéfiantes, très préparées, mais très risquées aussi : un immense mur s’écroule sur lui, mais il se trouve exactement à l’endroit d’un trou de fenêtre, ce qui le sauve…. (mais il fallait que ça tombe droit et pile autour de lui !!!)
Lobster films ressort un film de 1923, Les lois de l’hospitalité, parodie de Roméo et Juliette, qui lui permet d’enchaîner les aventures.
Dans une scène où il fuit avec sa fiancée, celle-ci dérive dans une barque sur des rapides, tandis qu’il est empêtré dans une corde accrochée à un tronc. Le tronc se bloque au bord de la cascade, et il va se balancer au bout de la corde, afin de récupérer la fille, juste au moment ou la barque bascule dans le vide, puis la jette sur des rochers, exactement comme un numéro de trapèze minuté !!!
Des coups comme ça, Buster Keaton en fait sans arrêt : il échappe à 1 000 morts, à un poil près, sous nos yeux effarés, avec de vrais accessoires lourds, dangereux : il joue au Mikado avec des troncs d’arbres, des camions le frôlent, il saute entre deux immeubles et dévale le mur en s’accrochant partout jusqu’en bas, sans casse !!!
Il a transformé les scènes d’action et suspens spectaculaire, du grand spectacle ultra-risqué. On le voit dévaler toute une pente montagneuse, passer sous des trains, dépasser des véhicules en courant… (tout ça sans effort apparent, gardant son air triste et indifférent).
Emporté par le vent, il flotte comme un drapeau, accroché à un mât ou un autobus, une maison soufflée par la tempête fonce sur lui et il passe par la porte ouverte, etc. Un super Yamakasi avant l’heure !!!
Il sera classé acteur de légende, ses films primés, mais les grands studios vont l’épuiser, l’appauvrir, l’abandonner… Chaplin l’avait mis en garde et conseillé de rester libre, comme lui, sous peine de se voir bloqué dans de grosses productions figée (le même sort que mes favoris Laurel et Hardy…. Tués par un succès mis en boîte).
Malgré ses chefs-d’œuvre (Le mécano de la Générale, La croisière du Navigator, Le caméraman, Sherlock junior), il va être oublié.
Ce n’est que dans les années 60 qu’il fut redécouvert (ainsi que des copies de ses films), et glorifié après sa mort. Des acteurs, réalisateurs (Peter Bogdanovitch lui consacre un grand documentaire) Jean-Claude Carrière l’encense, Jacques Tati s’en inspire, et surtout un français, Pierre Etaix en fait son modèle (ils se ressemblent beaucoup), et réalise plusieurs films hommages (Keaton a son double français !!)
Avoir risqué sa vie dans des mises en scène aussi folles et géantes (souvent filmées très large pour que l’on puisse voir que c’est une vraie avalanche, de vrais rochers ou tsunamis…), lui a valu l’admiration et des détracteurs (trop cher, mégalomaniaque, trop exigeant).
Il fera quelques apparitions furtives dans de grands films, juste avant sa mort, tant certains jeunes réalisateurs voulaient filmer sa présence de personnage mythique, héros des débuts du cinéma.
Buster Keaton. Les lois de l’hospitalité. 1923. DVD Lobster Films.
Visuels © Lobster Films