Typologie en jupes trop courtes.
“J’avais en tête l’image familière d’une typologie de femmes qu’on rencontre généralement dans le sud de la France, souvent trop blonde ou trop brune ou trop rouge, multicolorée, embijoutée jusqu’au bout des ongles, voulant briller du nombril à la paupière, portant des jupes trop courtes, des décolletés trop plongeants pour dévoiler une peau trop bronzée, trop grande gueule, trop tatouée, trop perchée, trop tout.” C’est avec cette confession du réalisateur, Sébastien Haddouk, que débute son excellent documentaire intitulé Cagole Forever, produit par Lalala Productions -la boîte de prod de Mademoiselle Agnès– et diffusé ce soir sur Canal+.
Après avoir consacré un film aux hipsters, le trentenaire s’intéresse ici à la figure mythique de la cagole, cette femme que beaucoup jugent vulgaire et provocante. Il a eu “envie de [la] mettre à nu” et d’aller au-delà des clichés qui lui collent à la mini-jupe. Lui, ce qui l’intéresse, ce sont justement les vêtements: “Que racontent-ils de la personne qui les porte? Est-ce qu’on juge trop facilement quelqu’un à sa façon de s’habiller?” Parti à la rencontre de ces femmes au verbe et aux talons hauts à Marseille, la capitale de la Cagolie, à Nice mais aussi à Madrid, Sébastien Haddouk, touché par “leurs blessures, leurs failles”, pose sur elles un regard bienveillant et intelligent. Et celui qui “n’aime pas qu’on assène des vérités” démonte au passage pas mal d’idées reçues. Voici 8 choses à savoir sur les cagoles.
Le mot cagole ne signifie pas la même chose pour tout le monde
“Une bonne à rien”, “une gonzesse un peu légère qui va avec l’un, qui va avec l’autre”, “une ramoneuse”: dans le documentaire, on le voit bien, le terme “cagole” n’a pas la même signification pour tout le monde. “En effet, c’est très subjectif, confirme Sébastien Haddouk, ça part d’ailleurs de la définition même de la cagole qui est une attitude qu’on juge vulgaire et provocante. Mais la vulgarité et la provocation sont des notions très subjectives, donc forcément les gens ont des définitions différentes, ça va dépendre de leur éducation, de leur culture et de plein d’autres facteurs.”
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Une chanson est dédiée à la cagole
“Elles ont des pilotis / Et ça rend tous les garçons fous / Elles ont des pilotis / Elles ont toutes grandi d’un coup!” En 2000, “Massilia Sound System, le groupe emblématique de la scène alternative marseillaise, avait fait cette chanson sur les filles ‘sur pilotis’, c’est-à-dire les filles sur talons hauts”, se souvient le réalisateur. Une ode aux cagoles en somme, “ces filles du Midi […] plus originales”.
Elles ont des pilotis, de Massilia Sound System
“La cagole, c’est Audiard.”
“Oui, c’est totalement vrai, je crois que c’est Sophie Fontanel qui dit ça dans le film, précise Sébastien Haddouk, la cagole, c’est le verbe associé au vêtement, c’est génial qu’il y ait cette gouaille chez ces femmes. Ce qui est intéressant aussi, dans l’idée de regarder ce qu’il y a sous la panoplie de la cagole, c’est de constater que c’est davantage un tempérament qu’une façon de s’habiller.” Et notamment un mélange des genres: “Chez la cagole, il y a du féminin et du masculin, ou du moins ce qu’on associe habituellement au masculin, assure le réalisateur, c’est peut-être ça d’ailleurs qui dérange, si la femme parle fort, elle devient vulgaire alors qu’un mec qui parle fort, il a juste une voix qui porte, c’est très sexiste comme vision des choses.”
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Le mot cagole existe depuis très longtemps
Dans le documentaire, Sébastien Haddouk interviewe la linguiste Aurore Vincenti, qui a enquêté pour savoir à quand remontait l’utilisation du mot cagole, “un mot marseillais qui a été rapproché du mot provençal cagoulo qui pourrait désigner le tablier de l’ouvrière puisque la cagole, à l’origine, c’était une ouvrière qui se prostituait. On peut faire remonter ce mot au début des années 1900, et même avant, à la fin du XIXème siècle. Cette femme-là est généralement dite cagole par les gens de Paris. […] La femme, par définition, depuis la nuit des temps, est souillée dans notre monde judéo-chrétien, la femme a ses règles, c’est une femme impure, nous sommes impures en tant que femmes, et ça se retranscrit dans la langue injurieuse puisque ça ressort au niveau de la salope qui est sale, de la putain qui pue. Étymologiquement, voilà les racines des mots. Et le mot cagole porte la sonorité du verbe caguer, qui signifie chier, donc si on entend caguer dans la cagole, on entend la femme qui chie, la femme sale, la femme impure, donc je pense que ça travaille d’une façon ou d’une autre l’inconscient.”
La cagole n’est pas le symbole du mauvais goût
Si dans l’inconscient collectif, c’est le mauvais goût qui transpire derrière le mot ‘cagole’, pour Sébastien Haddouk, c’est plus compliqué que ça: “Il y a avant tout deux choses: une opposition régionale, avec ce mot, c’est le regard condescendant de Paris sur le reste de la France qui s’exprime; et une opposition sociale, la cagole vient forcément d’un milieu populaire, le mot ‘vulgaire’ vient du mot latin ‘vulgus’ qui signifie le peuple en latin. Il y a les gens qui ont de l’argent et qui se disent de bon goût, et les autres”.
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La cagole est partout, y compris parfois aux premiers rangs des défilés de la Fashion week
“Les gens de la mode n’ont parfois plus de recul sur eux-mêmes”, dit Sébastien Haddouk. Avec sa caméra, le trentenaire a traîné à l’entrée de certains défilés de la Fashion week et, “sorties du contexte, certaines femmes ont l’air d’être déguisées, et elles pourraient faire penser dans leur côté too much à des cagoles car la cagole, c’est aussi le ‘trop’. Dans leur envie d’être photographiées, remarquées, certaines peuvent avoir des allures de cagole.”
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La cagole est internationale
Chaque pays a sa cagole, et “sa façon de la qualifier”. Sébastien Haddouk s’est rendu en Espagne, où il a fait connaissance avec les chonis, l’équivalent espagnol de nos cagoles nationales. Mais il y a aussi les pitipoanca en Roumanie, ou encore les vrenzole en Italie, “enfin c’est comme ça qu’on appelle la cagole napolitaine car, dans le reste du pays, il y a d’autres appellations”, précise-t-il. D’ailleurs, en France, c’est la même chose: “À Montpellier, on parle de la piche, les dénominations sont différentes en fonction des régions.”
La cagole est féministe
L’affirmation peut surprendre au premier abord mais pourtant, la cagole pourrait bien véhiculer “une certaine forme de féminisme, consciemment ou pas, dans sa capacité à s’assumer en tant que femme dans toute sa féminité, explique Sébastien Haddouk. Et d’insister: “Elle revendique de pouvoir s’habiller et s’exprimer comme elle veut. Elle affiche sa sexualité, elle n’a pas peur d’affronter les mecs, dans ses mini-jupes et ses talons hauts en l’occurence. Dans une société qui ne cesse de régresser vis-à-vis des femmes, cette attitude peut être qualifiée de féministe.”
Julia Tissier
D’autres articles sur la cagole, mais pas que, sur Cheek Magazine.