Faire du cinéma, c’est peut-être capturer le temps, inscrire sur des images tout ce qui pourrait disparaître, laisser une trace intemporelle de ce qu’on filme.
Shlomi Elkabetz a longtemps filmé sa sœur, Ronit. Comme cela se fait dans certaines familles, pour des archives personnelles, mais aussi dans une trilogie de fictions où elle tenait le rôle principal. Et encore que dans « Prendre femme », « Les 7 jours » ou « Le procès de Viviane Amsalem », il y avait beaucoup de leur réalité. Du moins de celle de leur mère qui aura inspiré ce triptyque immergeant dans le parcours d’une femme judéo-arabe. En 2016, Ronit meurt, laissant son frère avec la souffrance d’un deuil inconsolable. Avec “Cahiers noirs”, il va tenter de continuer à la faire vivre, à partir d’un montage des centaines d’heures d’images qu’il avait d’elle mais aussi d’extraits de la trilogie. Le résultat est des plus troublants quand il devient à la fois un journal des plus intimes et une sorte d’arbre généalogique par procuration.
À la manière d’un double making of, à la fois de films et d’une vie, Cahiers Noirs, Ronit, actrice incroyablement vivante au naturel, et Viviane, mère de fiction, ont chacune droit à un volet de ce documentaire. Mais n’ont de cesse de se répondre, voire de fusionner. Jusqu’au vertige, quand on découvre qu’Elkabetz jouait cette mère en quête absolue de liberté, en luttant dans sa propre vie contre un cancer qui allait l’emporter.
Ou quand il est évident que Shlomi filmait sa sœur au quotidien comme une tragédienne. Mais aussi comme un frère, qui aurait rétrospectivement souhaité pouvoir la sauver de son destin.
À sa manière, « Cahiers noirs » réinvente le principe du champ-contrechamp en racontant la Ronit du quotidien, et la Ronit comédienne. Les deux ayants en commun d’être une tornade. Elle continue de vibrer telluriquement dans ce documentaire qui conforte l’absence d’une telle actrice dans le cinéma, tout en continuant à affirmer sa présence. Jusqu’à aborder sa mort comme une simple information, balayée par ce torrent d’images de cette femme, actrice et sœur, dans ses fragilités comme dans ses élans. Un hommage très émouvant quand il accepte qu’elle soit désormais un fantôme mais souhaite continuer à converser avec elle.