Pendant que le rythme des projections marche au pas, le festival n’a pas encore trouvé sa musique.
Le festival de Cannes n’est pas qu’une question d’images mais aussi de son. Celui des salles du Palais est toujours aussi impeccable lors des projections, mais il manque quelque chose cette année : une petite musique, ou plutôt une grosse.
Il était devenu une quasi tradition subconsciente qu’un morceau utilisé dans un des films présentés traverse la Croisette, passe des salles aux plages, pour devenir le fil conducteur des playlists des fêtes, le tube de l’édition. Ce fut « I follow you » de Lykke Li, l’année de La vie d’Adèle ou le « Diamonds » de Rihanna, celle de Bande de filles. Jusque-là, celui de 2019 reste à trouver. Pour le moment, rien ne remonte des soirées, encore moins depuis que le voisinage a eu gain de cause et imposé que les décibels se fassent discrets.
Il y a pourtant eu du son aux marches du Palais, mais c’est surtout celui des appareils-photos capturant Elton John, attraction d’un soir, venu accompagner Rocketman, biopic plus haut en couleur que le costume vert étonnamment sobre arboré par la popstar. À l’image d’un mini-concert qui n’a pas rajeuni les fans du chanteur de « Goodbye yellow brick road ».
Si Taron Egerton, parfait dans le rôle de John, lui a redonné une certaine jeunesse dans Rocketman, la musique qu’écoute celle d’aujourd’hui était ailleurs, notamment dans le Zombi Child de Bertrand Bonello, où le flow de Damso ou Kalash fait la passerelle entre le Haïti vaudou des années 60 et des adolescentes de la France d’aujourd’hui.
Foule Sentimentale
D’une manière générale, la musique dans les films présentés cette année est un objet transitionnel : moins radical que le heavy-métal d’Igorr utilisé pour Jeannette, les nappes planantes composées par Christophe ont fendu l’armure de Jeanne, le second film – malgré tout presque aussi raide que le précédent- que Bruno Dumont consacre à la bergère de Domrémy (fa si la sol la si do?) qui entendait des voix.
Pendant que Jeanne s’essayait à ancrer la pensée de la Guerre de Cent ans dans l’époque actuelle, un autre gap traverse Le lac aux oies sauvages quand une scène de l’étonnant film noir de Diao Yinan s’attarde sur un groupe de villageois chinois dansant un madison lumineux – au minimum parce qu’ils ont tous aux pieds des chaussures cerclées de guirlandes – sur « Rasputine » de Boney M.
Moins de décalage dans Douleur et gloire, le nouvel et splendide Almodovar, qui synchronise peu à peu (on y entend des bouts de « La vie en rose » version Grace Jones ou « Come sinfonia » de Mina) sa B.O avec sa renversante pudeur, culminant dans une scène convoquant le souvenir d’un amour perdu au son de « La noche de mi amor » de Chavela Vargas.
Les larmes ruisselaient sur l’écran comme dans la salle. Dehors, c’est une pluie fine qui s’y accordait pour battre la mesure d’un festival, soudain étonnamment sentimental.
Visuel © Douleur et gloire