Cannes est bien un festival de son époque : on y lutte désormais contre les spoilers.
Le festival de Cannes est intéressant à observer sous l’angle du sociologique, de son rapport à l’époque. Les nouveaux usages s’y sont invités depuis plusieurs années déjà, des réseaux sociaux ayant amené la fausse nécéssité d’une immédiateté de l’opinion critique après les projections aux téléphones portables qui projettent parfois plus de lumière dans les salles que les films pendant les séances.
Le festival a parfois réagi, par exemple en interdisant les selfies lors des montées de marches (on a croisé cette année des vigiles chargés de faire respecter cette interdic-tion), il lui arrive aussi de se plier à son époque. Comme cette année où sur la même journée, il a été demandé à la presse de ne pas spoiler deux films.
Quentin Tarantino et Bong Joon-Ho se sont fendus d’une lettre, lues en amont de leurs projections pour demander d’en dire le moins possible sur Once upon a time in Hollywood et Parasite, leurs films respectifs, pour ne pas en gâcher le plaisir de certaines surprises aux futurs spectateurs.
Détail amusant, dans sa lettre, Bong Joon-Ho ne se prive pas de révéler un des plus grands twists du cinéma de ses vingt dernières années. Tant pis pour ceux qui n’auraient pas vu le film question. On lui pardonnera, tant il y a effectivement un énorme retournement de situation dans Parasite. Et ce n’est pas donner un indice que d’indiquer que cette vision en coupe des rapports de classes en Corée du Sud a des airs de formidable version alternative d’Une affaire de famille, le palmedorisé de l’an dernier, en plus féroce. Pour un film pas moins politique, mais bien plus énervé.
Once upon a time in file d’attente
Aucun souci en ce qui concerne Once Upon a time in Hollywood pour respecter la consigne, du moins pour les très nombreux refoulés des projections presse, malgré jusqu’à deux heures de file d’attente. Mais aussi un peu pour ceux qui auront pu le voir, tant le nouveau film de Tarantino repose plus qu’essentiellement sur les éléments déjà connus. À savoir une toile de fonds, celle du Hollywood de 1969, au moment où la télévision prend le pas sur le cinéma de studio, et ou la Manson family sème la terreur, notamment en assassinant Sharon Tate.
Elle a quelque chose d’une toile de maître quand Tarantino reconstitue dans les moindres détails ce lieu et cette époque, avec une perfection fétichiste, mais la sensation d’une visite guidée s’éternisant autour de vignettes digressives écarte le récit, pour se contenter d’une humeur et du goût des regrets, notamment, pour sa partie la plus interessante consacrée à un acteur (interprété par Leonardo Di Caprio) craignant de devenir un has been.
Tarantino organisant autour de lui un jeu de poupées russes, par un principe de film dans le film, ou d’apparitions plus ou moins furtives de vedettes de l’époque, joués par des comédiens plus ou moins grimés. D’où la sensation d’une visite trop guidée d’un musée Grévin très personnel, figeant de trop la progression d’un scénario vers une trame autre qu’impressionniste.
Il sera question d’Italie à un moment, et curieusement pour un film hommage à la fin d’un certain cinéma hollywoodien, cette piste rapproche Once upon a time in Hollywood, d’une mélancolie fellinienne ou plus récemment d’une Grande Bellezza dans ses errances et son refus du deuil d’un âge d’or.
Pour sa sortie française, Once upon a time in Hollywood gardera donc son titre original. On aurait pu suggérer à ce conte défait de s’intituler La dernière séance, tant comme dans la chanson d’Eddy Mitchell, cette promenade, qui musarde de trop, d’un rideau tombé sur l’écran.
Visuel © Getty Images / Tony Barson