Le palmarès est tombé. Ou presque, manque le prix du public, décerné par les entrées en salles à venir…
Comme le dirait Jean-Louis Aubert « Voilà, c’est fini ». Le festival de Cannes 2022 s’est terminé comme de coutume avec son palmarès. Est-ce qu’on en a terminé pour autant avec cette 75e édition ? Pas si sûr. Il va même falloir la digérer au-delà d’une remise de prix qui, à l’inverse d’une compétition globalement perçue, du moins par la presse, comme très moyenne, aura réservé son lot de surprises. À commencer par le discours amusé mais en demi-teinte de Vincent Lindon, président du jury réclamant un nouveau mandat tout en indiquant clairement que sa voix n’avait pas pesé plus que les autres ou que chaque décision avait été prise à « grande majorité », donc sous-entendu sans unanimité. Peut-être fallait-il lire entre les lignes qu’il voulait refaire le match. Pendant que les supporters anglais de Liverpool/Madrid se faisaient gazer devant les grilles du Stade de France, l’énonciation des prix aura pourtant donné l’impression d’un tirage au sort, que ce soit au vu du nombre de films (près de la moitié de la compétition) récompensés ou son nombre inhabituel d’ex-aequos. Auront été principalement distinguées les équipes sud-coréennes (prix d’interprétation masculine pour Song Kang-Ho dans Les bonnes étoiles, prix de la mise en scène pour Park Chan-Wook et Decision to leave) et Belges (quoique, Les huit montagnes et Close ayant dû partager les prix du jury et le grand prix, tandis que les frères Dardenne étaient mis en tribune d’honneur avec un accessoire prix du 75e anniversaire). Reste ce sentiment que le jury s’est accroché au banc de touche en allant ni dans le sens d’un public cannois qui avait fait de Close, sa palme du cœur, ni dans celui de la presse, qui espérait le triomphe de son chouchou Pacifiction voire se serait contenté du couronnement de l’iranien Leïla et ses frères.
En faisant le choix d’adouber Triangle of sadness, Lindon et ses jurés s’est autodecerné à leurs yeux un carton jaune. Comme le rire qui traverse le film de Ruben Östlund, qui se voudrait une version Titanic du monde des ultra-riches, mais finit par prendre des airs d’un épisode trop cynique de La croisière s’amuse.
Pour autant, il y a bien un iceberg dans ce palmarès. Pas forcément celui formulé par
la déclaration d’intention de la cérémonie d’ouverture, annonçant, jusque dans l’apparition de Volodymyr Zelensky, une feuille de route politique. Derrière le trompe-l’œil de Triangle of sadness, certes satire corrosive du capitalisme, mais sous une forme des plus embourgeoisées jusqu’à son cynisme condescendant, le rendu n’a été saupoudré que de deux films pointant du doigt les régimes iranien ou égyptien, sous couvert de cinéma de genre (thriller pour Les nuits de Mashaad ou film d’espionnage pour Boy from heaven), quand cette teinte était beaucoup clairement marquée chez, pour ne citer qu’eux, James Gray, Saeed Roustaee, Cristian Mungiu ou Albert Serra, cinéastes repartis bredouilles.
Étonnamment, c’est vers une autre politique que celle, traditionnellement cannoise, des auteurs que s’est tourné le jury en célébrant avant tout des films ayant un potentiel populaire, ce qui quelque part tient d’une courageuse forme de dissidence envers le festival de cinéma certes le plus médiatisé au monde, mais concrètement bien plus tourné vers l’entre-soi d’une industrie- incluant la critique- que vers le public. Et si l’on peut déjà lire, ici ou là, que ce palmarès est hors-sol, il s’avère en fait bien plus ancré dans le terrain très meuble ces temps-ci d’un monde de cinéma qui doit reconquérir les spectateurs.