38 millions. C’est le nombre de morceaux sur les plateformes de streaming qui n’ont enregistré aucune lecture en 2022, preuve que dans le royaume de l’écoute, il existe de grandes zones de silence.
La promesse, c’est la corne d’abondance. Sur le papier, l’argument des plateformes de streaming est alléchant. Pour l’auditoire, tous les artistes que vous suivez, disponible au plus proche de vos oreilles, et pour les artistes une ligne directe vers l’intimité de leurs fans, et de leur public potentiel. Ces plateformes offrent un accès immédiat à un nombre incalculable de musiques, trié pour vous, et il y en a pour tous les goûts.
On pourrait se dire que cette diversité offre aux utilisateurs une plus grande liberté d’écoute, que chaque artiste y a sa place et une chance que sa musique soit écoutée. Une récente étude sur les données d’écoutes dépeint une réalité bien différente.
Silence, ça streame
Dans une présentation dans le cadre d’une conférence tenue au grand rendez-vous de la musique SXSW (Festival organisé chaque année à Austin dans le Texas, prononcez South By South West), Rob Jonas, CEO de la compagnie américaine Luminate, spécialiste de l’analyse de données dans la musique depuis plus de 30 ans, a livré les analyses réalisées par sa société sur l’année 2022. Quelles sont les musiques préférées de la Gen Z, qu’écoutent les gamers sur les plateformes de streaming, quels sons intégrés à une série télé ont le mieux fonctionné sur l’année (coucou Running Up That Hill de Kate Bush)… les enjeux sont nombreux pour les pontes de l’industrie présents dans la salle, qui ressortiront avec des infos leur permettant de mettre en place des stratégies pour leurs prochaines sorties. Parmi les informations partagées par Rob Jonas, une slide a beaucoup fait parler d’elle.
On y apprend que sur les 158 millions de morceaux analysés sur les différentes plateformes d’écoutes, 67,1 millions d’entre eux ont été écoutés 10 fois ou moins, ce qui représente 42 % du total. Donc sur l’année 2022, plus de 40 % des morceaux présents sur les plateformes enregistrent un nombre d’écoutes extrêmement faible. Pire encore, 24 % du total de ces pistes n’a jamais été écouté. Aucune écoute enregistrée. Une grande zone de silence dans les royaumes de l’écoute.
Écoute-moi bien
Ce constat donne à réfléchir sur la réalité des géants de l’écoute. Dans ce gigantesque supermarché de la musique, presque la moitié des produits sont délaissés, jamais sorti des rayons, pendant que d’autres battent des records d’écoute qui filent le vertige. Comment expliquer ce désert d’auditeurs ? Rob Jonas ne fournit pas d’explication lors de sa présentation, donc on ne peut qu’émettre des théories sur la raison de ce grand silence, en gardant tout de même en tête un autre chiffre : environ 100 000 morceaux sont ajoutés chaque jour sur les plateformes (selon Music Business Worldwide, un chiffre avancé par le CEO d’Universal Music), une offre qui dépasse visiblement très largement la demande.
Une autre question se pose, que faire de tous ces fichiers sons qui prennent de la place sur les serveurs et dont manifestement personne ne veut ? Côté plateformes, un problème de taille va rapidement se poser. Stocker ces morceaux inécoutés coûte une somme non négligeable aux plateformes, et puisqu’ils ne génèrent aucune écoute, ils ne génèrent aucun trafic non plus. Pas de revenu associé à la publicité donc, un sérieux manque à gagner pour nos jukebox digitaux. Voilà un axe de réflexion de plus pour Spotify, Deezer et consort qu’ils peuvent ajouter à leur pile de problème à régler, à côté de la rémunération inéquitable pour les artistes et les polémiques autour de la désinformation diffusées dans les podcasts.
Après, il y a tout de même une bonne nouvelle à retenir dans cette histoire : si vous mettez un morceau sur Spotify, et que vous l’écoutez 11 fois, vous êtes déjà dans le top 58 % des morceaux les plus écoutés de la plateforme, et ça, c’est déjà un accomplissement. Bravo les champions.