En longeant la côte pour arriver au festival, on s’émerveille de cette avenue bordée par l’azur de la mer, où vient se reposer l’éclat du soleil… et où viennent s’éclater des surfeuses venues du monde entier. C’est jeune, vivace et musical. On est en septembre, mais l’été n’est pas fini, en tout cas pas ici. Biarritz est touchée par une vague de chaleur entre 90 et 120 BPM ; on a trouvé le coupable : le Queen Classic Surf Festival.
Surf et inclusivité sont souvent des mots-clés faisant chambre à part. L’archétype de la surfeuse, c’est la blonde, bronzée, fine mais pas trop, musclée mais pas grosse. On l’imagine toujours Australienne, mais on se trompe, les sportives sont bien plus diversifiées qu’on ne le pense. Le surf n’est pas né avec les Beach Boys, ne vient pas d’Australie, mais des îles du Pacifique. Les surfeuses, elles, ont parfois le look de raveuses berlinoises, elles sont petites, grandes, parfois rondes, parfois minces, les cheveux courts, lesbiennes, transgenres, tatouées… Venues, certes, d’Australie, mais aussi de Polynésie, d’Angleterre, du Maroc, ou encore de Hollande.
Trois Biarrotes, et surfeuses depuis toujours, ont bien compris que s’affirmer en tant que femme dans le milieu du surf, c’est compliqué, et que s’affirmer en tant que femme qui ne rentre pas dans les codes du surf, c’est la big galère. Amaya, Margaux et Aimée créent donc en 2021 le premier festival de surf qui met en tête d’affiche les surfeuses pros dans toute leur diversité. Créer un festival de A à Z n’est pas chose simple, « c’était un énorme pari. Quand je repense à la première édition, on aurait pu mourir, on a terminé au poste de secours : malaise et points de sutures. » Une première édition « crash test » selon Amaya, et, pour notre plus grand plaisir, crash test réussi !
La fête a toujours lieu mi-septembre, une manière de faire perdurer l’été et de ramener des touristes en fin de saison. À Nova, on a volontiers quitté le roucoulement des pigeons pour rejoindre le chant des mouettes, pour un premier jour de festival haut en sonorités dans la capitale Européenne du surf.
« Chacun pour sa vague«
Vendredi 13 septembre, repérage des lieux. Au bar, voilà une New-yorkaise, émerveillée de venir surfer à Biarritz, qui nous raconte son rapport au surf, et à la compétition dans l’eau : « dans ce sport, c’est chacun pour sa vague ». Amaya tient le même discours : « Il faut aller la chercher la vague, s’imposer, il y a des règles dans l’eau, il faut être une badass queen ». (Expression qu’on ajoute à notre lexique, merci Amaya.)
Le soleil se couche au son des DJ sets, dont celui de Salo, DJ Géorgienne qui a retenu notre attention et nos mains en l’air. Du bon gros perreo, tellement badass que le public garde ses lunettes de soleil tant il est ébloui. Twerker dans un événement surf, c’est assez rare pour être relevé. Amaya explique : « Dans les événements surf, on entend plutôt du ‘rock garage’ « . Plaît-il? Les garçons seraient-ils plus à l’aise de balancer la tête sur du grunge plutôt que de remuer leur derrière sur du reggaeton ?!? Amaya réalise donc le rêve de beaucoup : « On avait envie de twerker, donc on s’est dit que si on fait notre festival, on foutra du Rosalia. » La musique se mêle à des performances, une barre de pole dance dépasse de la foule : c’est un duo de circassien·nes qui assure un show ambiance tamisée, rougeâtre, des muscles saillants et des effluves de sensualité. La Côte des Basques is the new Moulin Rouge.
Il ne faut pas se coucher trop longtemps après le soleil, car le deuxième jour : place à la compétition.
À vos planches, prêtes, surfez…
Samedi 14 septembre, midi, retour sur les lieux. Les vagues sont déjà peuplées de surfeuses en lice pour la première phase de la compétition. Nos tympans sont d’emblée éveillés. Alors oui, les mouettes sont bavardes, les vagues leur répondent, mais celui qui donne la cadence c’est le commentateur à l’accent australien, Ambrose McNeill, sur fond de K.Maro, et du fameux « Femme like U« .
Des photographes se faufilent parmi les rochers, à l’orée de la mer, car c’est aussi la compète à la plus belle image, quitte à se mouiller les pieds et se prendre des rafales de vagues en plein objectif. Cette année, le Queen Classic recevait une poignée de médias, et pas des moindres : Nova (assurément), le journal Sud Ouest et la Télé Basque TVPI, le média LGBT Têtu, mais aussi Le Monde et l’AFP. Un engouement sûrement dû à l’élan olympique qui a mis le sport au centre de l’actualité de ces derniers mois.
Nous, depuis la terre ferme, on n’y comprend pas grand chose. Heureusement que le commentateur nous guide, saluant les petits pas de valse, caractéristiques des sportives de longboard, « very fancy footwork », en appuyant sur l’importance de cette initiative, « it’s so much more than a surf competition ». Ambrose glisse quelques mots à l’égard de la grande Sasha Jane Lowerson qui s’élance dans les vagues. Nous avons là une légende : la première surfeuse transgenre à avoir gagné une compétition professionnelle.
Sasha Jane Lowerson : une personnalité intrépide à l’empreinte indélébile
« Si la fête est un sport, me voilà. »
Sasha Jane Lowerson est Australienne. Elle n’a que 11 ans quand elle rentre dans le circuit pro et enchaine les compétitions et les victoires. Arrivée au lycée, elle est déjà au championnat national. Mais il lui faudra attendre de fêter ses 40 ans pour oser faire son coming out trans dans un milieu sportif masculin sexiste, homophobe, transphobe et encore trop peu éveillé.
« Le monde du surf, comme le reste d’ailleurs, est plein d’injures (envers les minorités). Si quelque chose est mauvais, on entend ‘C’est tellement gay’, ou bien j’avais un groupe de potes qui utilisaient le mot ‘Travelo’. »
Sa joie de vivre est communicative, mais son discours aborde très vite les moments moins cool de sa vie : sa période de transition, de doutes, de culpabilité, allant jusqu’à penser que « si ]elle[ transitionnait, ]elle[ serait vue comme une moins que rien. »
« Il n’y a pas une seule marque qui est prête à faire une contribution financière envers une surfeuse transgenre.«
Sasha Jane voit les choses bouger, petit à petit : « Vans, par exemple, commence à s’écarter du stéréotype de la femme blonde très fine, et met en avant des femmes noires« . Mais depuis sa transition, la surfeuse n’a plus de sponsors : « Il n’y a pas une seule marque qui est prête à faire une contribution financière envers une surfeuse transgenre«
Pas question d’arrêter de surfer (elle prépare l’entrée dans les mondiaux de l’ISA, l’International Surfing Association), ni de se taire. La championne, en plus de dominer le surf et d’adorer la fête, s’attèle à l’écriture : elle rédige ses mémoires, qui sortiront, nous dit-elle, l’année prochaine. Si elle ne pense pas voir de réels progrès d’inclusivité dans sa carrière, elle compte bien ouvrir toutes les portes pour les générations futures.
« Sauvage », c’est le mot que Sasha Jane Lowerson a choisi pour décrire ses goûts musicaux. C’est aussi l’adjectif qu’on pourrait attribuer à son ambition, à sa hargne et sa persévérance. On lui souhaite de la prospérité, un bon karma et bien-sûr, la victoire, qu’elle pourra célébrer sur son titre favori des Deep Purple : « Smoke on the water » (Sasha fait pareil, sauf qu’elle, c’est la vague qu’elle fume).
Sasha rejoint la terre ferme au son de l’italo-disco de Pino d’Angiò, qui conclut la compète en beauté. Rendez-vous le lendemain matin pour la grande finale.
Une prévention artistique
À l’image des stands, le fin mot du festival s’illustre dans la démocratisation du corps, du surf, du skate, dans l’émancipation et l’empowerment. On n’est pas des gros adeptes d’anglicismes, mais si ce mot est intraduisible en français, on a bien kiffé la traduction de la journaliste Clémence Bodoc : l’empowerment, c’est tout un concept mêlant acceptation de soi, confiance, estime, ambition et pouvoir. Une traduction en parfaite hamonie avec l’aura du Queen Classic.
On quitte les 20 degrés de l’Atlantique et on se réfugie sur les stands. Ici, des bustes peints à la main et du rose sur le stand associatif de Keep a Breast, mobilisé pour la prévention du cancer du sein, là un coiffeur gratuit pour qui fera don des cheveux coupés à l’association Fake Hair Don’t Care, sponsorisé par l’application de rencontres Tinder. Les stands sont écolos, féministes, solidaires, préventifs…
On y a croisé de super personnes, sincèrement investies dans des causes qui leur tiennent à cœur. On tourne à droite, face à face avec la rampe de Skateher, là pour custom vos planches de skate, mais surtout organiser un tournoi de skate 100% féminin. On y voit des enfants intrépides s’y initier, tout le monde est invité.
Des voix féminines qui montrent la voie
Sasha et Amaya soulignent toutes les deux une évolution, une inversion des tendances : alors que seul Vans les soutenait à leurs débuts, aujourd’hui les marques sont plus nombreuses « Ce sont des femmes et des personnes queer qui sont aux commandes des marques avec qui on collabore (Vans, G-Shock), c’est là qu’on a vu le switch. » S’il y a plus de sponsors, c’est parce qu’enfin, les femmes et personnes queers sont de plus en plus présentes dans l’industrie, à des postes clé (le fameux lobby LGBT-féministe…).
En se baladant, on croise des espagnoles venues de Bilbao, l’un des spots basque prisé des surfeuses. Elles-mêmes venues avec leurs planches, elles sont surtout là pour soutenir leur amie Alicia Takashi Delgado, en lice pour la finale. Plus loin, on croise Clara, une sudiste de Castres, fière d’en être à sa deuxième édition du Queen Classic. Elle valide la « bonne ambiance », la gratuité et la prog’ musicale. Clara nous quitte sur un slogan concis et tout à fait pertinent : « go les meufs ». Un slogan qu’elle a du crier fort à la vue du line up de la soirée du samedi soir : la DJ parisienne Anaïs B, la bordelaise Marge et la basque PATXARANGA étaient derrière les platines devant une foule électrisée.
Du militantisme sportif
Évidemment, Nova a fait un tour par l’émission de la webradio DIA !, onde basque indépendante (lancée par le très cool collectif Moï Moï). Au micro : Elisa Routa, journaliste, ancienne commentatrice du festival et membre du Club de Surf Queer local. Elisa Routa recevait des invitées, parmi lesquelles la championne paralympique de cyclisme tout juste ornée d’or, Marie Patouillet, nommée personnalité sportive de l’année 2023 par le média LGBTQI+ Têtu. La cycliste, également lesbienne, est venue aborder les sujets de l’inclusivité, et répondre à la question : « Le militantisme dans le sport : les sportif.ves sont-ils des citoyens comme les autres ? ».
« Le surf, c’est pour tout le monde. Tous les corps sont acceptés (…) Pendant longtemps, c’était des mannequins qui étaient représentées, sauf que pour aller surfer une vague de 3 mètres, il faut quand même être un peu musclée. » – Aimée Arramon-Tucoo.
Une démarche solidaire soutenue par la ville
La recette pour créer un festival de toutes pièces : « une bonne équipe, du travail (évidemment), et de l’entraide ». Pour la première édition, Amaya et Aimée ne s’attendaient pas à ce que le Queen Classic prenne autant d’envergure. Aimée nous confie qu’elles pensaient faire « une fête de village« . Le soir, arrivées sur les lieux, « il y avait 2000 personnes ! On a eu un peu peur » (compréhensible). Les trois entrepreneuses sont soutenues par la ville, la Mairie de Biarritz leur donne accès à l’eau, à l’électricité, leur prête la scène, et tout cela gratuitement.
« Moi, je dit toujours que la première édition, c’était moitié de la chance, moitié de la folie !«
– Amaya Gomis
Last day : la fin d’une consécration, bientôt de retour…
La question que vous vous posez depuis le début de la lecture de cet article : qui a remporté la compétition ? Elle a été sacrée dimanche, et s’appelle Karina Rozunko, surfeuse (et journaliste !) californienne, et a brandi fièrement son joli trophée orné de coquillages. Les surfeuses ont aussi reçu des prix par équipe, dont l’équipe de la surfeuse japonaise Yurana Mase, âgée de seulement 17 ans. Elle déclare sur son compte Instagram : « Ce que j’ai vu ici, les gens que j’ai rencontrés, et le pouvoir que j’ai acquis ont définitivement enrichi mon parcours de vie. »
Dimanche, c’est jour de messe, on dit doucement au revoir au Queen Classic au son de la banda basque Ttipitto Banda, non sans se faire un peu les biceps avec un concours de bras de fer, où l’on pouvait affronter Marie Patouillet et autres audacieuses. Vive le Queen Classic Surf Festival, et à l’année prochaine !
Mention spéciale pour la DA du festival, aux airs rétros classy & chic style années 70’, aussi belle que drôle.