Ovni de la presse féminine, féministe et indépendant, Causette est à bout de forces.
Vendredi 15 décembre, Causette s’est déclarée en cessation de paiement auprès du Tribunal de commerce de Paris. Depuis quelques mois, le magazine lancé en 2009 tirait la sonnette d’alarme sur sa situation financière et demandait de l’aide à ses abonnés. Car la force (et en même temps sa faiblesse) de Causette, emblème de la presse féministe française, c’était son indépendance. Pendant huit ans, le magazine n’a quasiment dépendu que de ses ventes (et de 4% de recettes publicitaires). Cela lui permettait notamment de ne pas dépendre d’annonceurs, particulièrement oppressants dans le domaine de la presse féminine. Résultat : un magazine sans conseils régime ni rubrique cuisine, des pages de pub sans relents sexistes et qui se comptent sur les doigts d’une main.
« Plus féminine du cerveau que du capiton » (c’est sa baseline), Causette a mis en avant un féminisme assumé, créé une communauté transgénérationnelle de lectrices et lecteurs, et ouvert la voie à de nombreux médias féministes. Un « symbole de la renaissance du féminisme français » titrait The Times en 2010 à propos de cet ovni journalistique.
Causette c’est aussi – on ne se résout pas à en parler au passé – un grand magazine d’investigation, qui doit notamment son succès à une enquête retentissante sur l’impunité des agressions sexuelles dans l’armée, en 2014. Deux journalistes, Julia Pascual et Leila Minano sont détachées de la rédaction pendant deux ans pour mener ce travail. Au lendemain de la publication du livre qui en résulte, le Ministère de la Défense lance une enquête dans les rangs de l’armée française. Celle-ci donnera naissance à Thémis, une cellule d’action contre le harcèlement, les discriminations et les violences sexuelles dans l’armée.
Mais tout n’a pas toujours été rose chez Causette. On se rappelle notamment des accusations de harcèlement moral de trois journalistes, révélées par Buzzfeed en 2016. Et puis il y a eu la grève, en 2013, témoin d’une mésentente frappante entre direction et rédaction, qui mettra le magazine dans l’embarras financier. Causette remonte la pente, mais traverse fin 2016, début 2017, « un léger “trou d’air” qui a vidé le frigo ». « Heureusement, depuis plusieurs mois, les ventes du magazine remontent (environ 50 000 exemplaires par mois), mais nous payons très cher ce passage à vide », expliquait la rédaction lors d’un récent appel aux dons. Le numéro de novembre portait en couverture l’interrogation prémonitoire « Dernier numéro ? ». Celui de décembre risque d’être exactement cela.
Ou pas ? Selon Arrêts sur Images, qui a posé la question à Causette, plusieurs repreneurs se seraient déjà manifestés et « il ne devrait pas y avoir de cessation d’activité ». Affaire à suivre.
Visuel : (c) Causette