Quelques conseils avant de réaliser votre premier court métrage, à l’occasion du Festival de Clermont Ferrand
Cette année le Festival de Clermont-Ferrand a reçu 7730 courts-métrages selon les organisateurs.
À peu près autant, selon les forces de l’ordre, que les fonctionnaires qui manifestaient cette semaine contre le gel de leurs salaires. Un gel essentiel puisqu’il a permis de subventionner ces 7730 petits « chefs d’œuvre ».
7730 cinéaste en herbe (en bois surtout) dilapidant l’héritage familial pour 15 minutes d’images. 7730 enfants de la baballe prêts à couler la boîte de production de maman pour 5 minutes de film. 7730 réalisateurs utopiques ayant perdu tous leurs amis qui les auront aidé bénévolement sur leur tournage….
Vous qui allez tourner votre premier court-métrage, avant de penser à une sélection à Clermont, sachez déjà qu’il sera pas bien. Si un jour vous réussissez à intégrer l’infiniment petit microcosme, le microcosmos quoi, du « Cinéma Français », vous en aurez honte de ce premier court, vous le regretterez toute votre carrière, ce truc « immature et prétentieux » comme vous direz. Alors, premier conseil, ne tournez pas de premier film, passez directement au deuxième.
Pour les plus chanceux, vous allez faire votre court en cours, à l’école. Et une bonne si possible : la FÉMIS, Louis Lumière. Du bon matos, des bons profs, et une grande chance d’avoir un jour une nomination au César du Meilleur Court Métrage. Vous aurez votre invitation + 1 à la Cérémonie. Mais au balcon, hein, faut pas rêver.
Là, pendant la pause pub du direct de Canal +, une actrice oubliée, genre Judith Godrèche, Cachou ou Samuel Le Bihan, viendra tenter son grand retour sur scène dans le rôle de la meilleur actrice dans une seconde chance qui lit les nommés. Et sa sempiternelle intro (à lire avec la voix de Fanny Ardant) : « le Court Métrage c’est une promesse, un espoir de long qui chuchote sur 35 millimètres le principe d’Éric Rohmer, (ou de Katsuni je ne sais plus) : « C’est pas la taille qui compte » » Les nommés sont…
Souvenir des César
Les nommés sont les happy few du court. Pour les tristes-left, le tapin commence. Ceux d’entre vous qui sont en école de cinéma, mais moins bien, vous allez passer par tous les métiers, de scribouillard à régisseur (Du droit de dire : « j’ai été cherché les Craven A de Karin Viard, elle est odieuse en vrai ») avant d’accomplir votre rêve : second assistant sur un long, et s’il vous reste un tantinet de confiance, là et seulement là, vous ferez votre court.
Pour ceux qui n’ont ni la famille ni l’argent, il faut des financements. Des financements qu’on appelle dans le jargon du marché des p’tis films : des « aides ». C’est pas choisi par hasard le mot « aide », c’est vraiment une « aide », parce qu’investir dans un court métrage c’est comme investir dans un SDF, ça rapporte rien. Un sourire, la conscience tranquille, le baume au coeur du mécénat… mais même pas forcément.
Investir dans le court, c’est simplement un pari perdu sur l’avenir. Parce que si le SDF aura peut être la chance de se réchauffer à l’euro, le jeune cinéaste ira se peler les miches pour tourner sans autorisation à 5h du matin.
Ces organismes qui perdent de l’argent avec votre idée sont souvent publics, parce que l’État adore perdre de l’argent avec des ronds-points ou le cinéma. Et d’ailleurs, il ampute des budgets essentiels comme l’armée. Du coup on est obligé de demander de l’aide à l’armée du Mali pour jouer au Risk en Afrique. « L’armée du Mali », la honte quoi.
La meilleur AOC publique c’est le Centre National de la Cinématographie. Obtenir une aide du fonds CNC c’est un Algeco toilettes garanti pour le tournage, une actrice un peu plus belle peut-être, mais surtout un invitation assurée en sélection à Clermont, le Cannes (quoique frisquet et vallonné et Michelin) du court.
Vous pouvez aussi compter sur les collectivités territoriales pour dépenser l’argent public sur votre idée perso. Mais ça veut souvent dire que vous êtes obligé de placer la spécialité locale dans votre film ; la Fourme d’Ambert ou les tripoux d’Auvergne si on reste à Clermont. Ou pire, un tournage à Vulcania.
Ci-dessous, le très sérieux reportage de TF1 sur l’Auvergne. Subtil.
Il y a aussi les associations ou les syndicats d’auteurs qui sont autorisés à donner l’argent. En gros c’est des SDF, mais professionnels et syndiqués, qui donnent un reste de sandwich aux nouveaux pauvres.
Vous êtes pas à court d’idées riquiqui, ça fourmille de ptites idées ? Pour être plus rentable vous n’avez qu’à faire une mini série, un programme court pour Canal +. Par contre trouvez un titre pas prémonitoire. Bref n’a duré qu’un an, #LaQuestionDeLaFin s’est finie au bout de trois mois. Appelez là… « pérennité ».
Si c’est le succès avec les filles qui compte pour vous, sachez que vous aurez peut être la chance d’être diffusé à 2h du matin sur France Ô ou dans une séance de Clermont Ferrand. Du coup l’offre est réduite, vous ne pourrez pécho une nana que parmi les Clermontoises / avec la TNT / et chômeuses vu qu’elles sont devant la télé à 2h…ça limite un peu le choix. Le court métrage c’est pas pour les célibataires exigeants.
Enfin si c’est le grand public que vous voulez, pas la peine de saigner votre entourage et le contribuable…vous achetez un chaton, vous le filmez avec votre webcam quand vous le poussez du tabouret. Vous mettez « gangnam, psg, pute, prout » dans votre nuage de tag sur YouTube et vous aurez 15 millions de vues. Le court métrage est au cinéma ce que YouPorn est à Marc Dorcel. Aujourd’hui on a plus besoin de scénario, on veut juste la scène de cute.
En tout cas les petits, bienvenue dans le grand écrémage du cinéma français. Plus de 2000 courts métrages français par an. Environ 150 premiers longs métrages. Et après plus qu’une vingtaine de second films. On parle même pas du troisième. Le Suédois connu, ni Ikéa ni attaquant du PSG, Ingmar Bergman, disait – au passé parce qu’il est mort – : « il faut tourner chaque film comme le dernier ». Suivez cet adage parce que votre premier court métrage sera sûrement le dernier.
Et sinon, pour être plus optimiste, Nova est en direct du Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand ce lundi 4 février de 17h30 à 20h.