« Enflammé.e, dynamique, audacieux, impulsif, actif, chez vous l’émotion l’emporte sur la raison […] La vie quotidienne ne vous fascine pas ; vous préférez jouer aux « trois mousquetaires », vous faîtes dans la déraison et l’enthousiasme […] Avec vous, on rêve et on imagine. » (Daniele de Caumon – ABC de l’astrologie chinoise).
Si vous vous reconnaissez dans ces quelques lignes, c’est sûrement que vous êtes né.e en 2010, 1998, 1986 ou 1974 et que votre signe du zodiac chinois est le tigre. À l’heure où près d’un milliard quatre de personnes en Chine et leurs proches tout autour du monde s’apprêtent à quitter l’année du buffle pour entrer dans l’année du tigre (ce sera mardi 1er février), Radio Nova s’associe à ce moment festif et familial et vous propose de voyager ensemble de l’autre côté de la grande muraille. Et puisqu’ici on est plus musique que zodiac, quoi de mieux qu’une playlist de musique chinoise pour bien commencer l’année ?
Hasard du calendrier, il y a quelques jours se réunissait le European Hip-Hop Studies Network pour deux jours de colloque sur l’accès à la légitimité culturelle du rap autour du monde. En tant que chercheur spécialiste de la Chine j’étais invité à cette occasion à présenter un papier que j’avais écrit sur le rôle des émissions de divertissement dans l’émergence populaire et la reconnaissance officielle du rap chinois. Pour illustrer mon propos et faciliter la tâche des auditeurs hors de Chine à accéder à ces contenus musicaux, j’ai profité de l’occasion pour monter une playlist. Aujourd’hui, afin de célébrer l’entrée dans l’année du tigre ensemble, je vous emmène faire un tour dans mes archives personnelles et vous propose dix morceaux de rap inédits, tous tirés de télécrochets chinois. Bienvenue dans l’année du tigre, bonne écoute et bonne année ! 大家虎年快乐 !
PG ONE, “破釜沉舟” (2017)
À tout seigneur tout honneur. PG ONE est la première grande star issue d’une émission dédiée au rap, The Rap of China, mais également un rappeur martyr dont la carrière a subi de plein fouet les foudres des autorités chinoises. En 2018, six mois après avoir été couronné vainqueur, la révélation d’une relation extra-maritale et la promotion de l’usage de drogues dans d’anciennes paroles ont mis un terme à son existence dans les médias. Ses chansons sont retirées des sites de streaming, ses réseaux sociaux sont bloqués. Quelques mois auparavant, lors de la finale le rappeur de Xi’an interprétait « 破釜沉舟 », un morceau dans lequel il défendait son engagement sans retour dans le rap et sa détermination à percer pour enfin pouvoir mettre ses proches à l’abri. Un rêve devenu réalité, pour quelque temps seulement.
早安 & 龚琳娜, “不忐忑 “ (2021)
Tout le monde en Chine connaît le morceau « 忐忑 » de Gong Linna. Dans une performance lunaire sur Hunan TV en 2011, la chanteuse, habillée comme une impératrice folle et surmaquillée, telle une Klaus Nomi contemporaine, avait laissé pantois une assistance qui ne semblait pas bien comprendre ce qui se déroulait sous ses yeux. En 2021, Gong Linna officie cette fois en tant que juge sur le plateau de Rap Star et accompagne le rappeur de Nanjing 早安 jusqu’à la victoire. Dans « 不忐忑 » les deux artistes reprennent le tube originel en y intégrant des passages rappés. La chanteuse apporte tout son univers tiré de l’Opéra de Pékin ainsi que de nombreux instruments traditionnels (guzheng, sheng, suona) et les réintègre à la modernité rap, ce qui donne finalement un morceau très haut en couleurs.
魔动闪霸Smelly D, “对手” (2020)
Alors je vous vois tout de suite venir avec vos gros sabots : « oui le rap chinois, entre tradition et modernité, l’opéra et la trap, blabla« . Oui, c’est vrai, des morceaux » à caractéristiques chinoises » il y en a beaucoup et des très biens. Mais c’est loin d’être les seuls. Pour un peu de diversité d’entrée de jeu, écoutons Smelly D du duo 魔动闪霸. En 2020, les deux jeunes à l’allure futuriste créent la sensation sur le plateau de Rap Star avec leur originalité musicale et leurs tenues digne des personnages de Liu Cixin. En deux morceaux, ils montrent que l’on peut être cool, différents, fous, utiliser un vocodeur, chanter, faire des gestes et des mouvements de corps incompréhensibles et être hip-hop. « New rap new star ! »
魔动闪霸Azi, “晨曦” (2020)
Oui, vous avez bien lu, ils sont deux dans 魔动闪霸. Place au deuxième luron, Azi, l’autre moitié du groupe le plus controversé du hip-hop télévisuel. Si vous n’aimiez pas le son précédent, rendez-vous directement au numéro cinq sans passer par la case départ. « New rap new star ! »
KAFE HU, “经济舱” (2020)
Revenons un peu au sérieux. Kafe Hu est un de mes rappeurs préféré, l’un des plus respecté de la scène chinoise. Pendant longtemps Kafe est resté indépendant, à travailler des textes à la poésie débordante, sur des samples de jazz. Souvent, il se pointait sur scène avec une basse et entraînait son public dans une expérience intimiste, créait un vrai échange, qu’il poussait jusqu’à faire monter l’intégralité de son public sur scène pour prendre une photo depuis les gradins. En 2020 c’est la deuxième fois qu’il participe à The Rap of China et l’audience devient plus familière avec cet artiste atypique. Dans « 经济舱 », qui signifie « classe économique », Kafe dresse à travers le récit d’un voyage en avion une métaphore de son propre voyage dans le monde musical. Une fois dans les airs, face au hublot, il s’ouvre sur les doutes et l’incertitude qui habitent ceux qui choisissent la voie de la musique. À travers son histoire on entrevoit un récit universel, celui de la réflexion d’un homme qui est assigné à la classe éco de la société mais qui voudrait voyager un jour de façon un peu plus confortable. Kafe Hu est un doux rêveur, ce qui fait de lui un grand artiste : « Je voyage en classe éco / Mais mon cœur est dans le ciel« .
D LEY, “女流之辈” (2021)
L’environnement médiatique chinois est très contrôlé, mais cela ne veut pas dire que certaines thématiques de société ne peuvent pas y faire leur apparition. En 2021, Tencent Video monte le rap show Girls like Us où des rappeuses chinoises s’affrontent et démontrent que les jeunes artistes féminines savent aussi cracher du feu. Ce show, quoique méritant son lot de critiques, a permis de porter la contradiction aux assignations sociales, familiales et traditionnelles qui pèsent sur les jeunes femmes chinoises. Comme Supergirl en 2004, il a également montré une diversité de profils féminins, rappelant qu’être femmes en Chine aussi s’écrit au pluriel. Ici, la rappeuse DLey vient ajouter sa pierre à l’édifice en dénonçant le sexisme au travers d’un texte très puissant. Le titre, « 女流之辈 », est une expression idiomatique que l’on pourrait traduire par « juste une simple fille ». Comme DLey le répète à la fin du morceau : « Don’t call me 女流之辈 ».
FOX福克斯, “庆功酒” (2019)
De retour dans la rencontre entre tradition et modernité, impossible de ne pas citer FOX福克斯 et son incontournable 庆功酒. Remettons-nous dans le contexte. En 2019 dans la troisième saison de Rap of China, lors d’un duel entre rappeurs, un grand baraqué choisit d’affronter FOX, qui lève courageusement sa chaine en l’air, laissant entendre qu’il accepte ce défi. Avec une taille de crevette, une chemise léopard ouverte sur trois boutons et une coupe mulet, le rappeur du Xinjiang n’a pas l’air d’en mener large et le public lambda l’imagine déjà rentré chez lui. C’est sans compter sur le génie artistique de ce jeune rappeur. Puisant dans l’opéra pékinois Taking Tiger Mountain by Strategy, dont son grand-père récite quelques vers en introduction, il intègre toute la puissance de la musique traditionnelle dans un rap à la scansion hautement maîtrisée. Aux antipodes des canons du rap, FOX met le molosse K.O., surprend tout le monde et continue son aventure.
王以太 & friends, “R&B All Night” (2020)
Attention, chanson hautement addictive. « R&B All Night » est une chanson du rappeur de Nanjing DZ Know, membre du groupe à succès Higher Brothers, et entrepreneur textile sous le nom de Mr Enjoy the Money. En 2019, Knowknow sort son premier album solo sur lequel figure cette chanson et qui rejoint très rapidement le panthéon des originalités du rap chinois. En 24h, cette dernière est streamée 3,9M de fois, des milliers de reprises fleurissent sur Tiktok et Bilibilli, et toute la jeunesse de Chine ne souhaite plus qu’une chose : « R&B All night ». Et peu importe que cela ne veuille pas dire grand-chose, cette chanson d’amour est unique rien que pour avoir ouvert le rappeur à des thématiques sentimentales qui le rapprochent des Mac Miller ou Post Malone américains. Et puis le groove, le hook, la chaleur qui s’en dégagent, tout ça en fait un tube. Ici 王以太, célèbre rappeur de Chengdu, en délivre une reprise magnifiée, accompagné d’un live band sur le plateau de 我们的乐队.
MC光光 & 法老, “Hold my hand” (2020)
« Je n’ai jamais rencontré le vison d’Eurasie / Je n’ai jamais rencontré le rhinocéros blanc du nord / Je n’ai jamais rencontré d’esturgeons blancs / Je suis de plus en plus grande / Mais il y a de moins en moins d’amis / Donc / Je ne veux pas grandir. » Cette triste ouverture énoncée par une petite fille en robe blanche suffit à présenter ce morceau très touchant sur la destruction de la planète. MC光光 et 法老, deux rappeurs très connus, officiaient en tant que jurés lors de la première saison de l’émission Rap Star. No comment, chapeau bas.
汽油队, “Wewe” (2020)
On finit cette sélection avec un morceau qui devrait ravir les fans du groupe de rock Hongkongais Beyond. Dans Rap for Youth, six rappeurs – dont le très en vue Step Jad – étaient rassemblés pour créer un morceau de groupe. Reprenant le morceau « Amani » devenu ici « Wewe », les jeunes rappeurs revitalisent un hymne à la paix dans le monde sorti à la fin de la guerre du Golfe, en 1991. Le refrain, écrit en Swahili, est adressé aux populations d’Afrique et peut être traduit ainsi : « Paix (amani), nous vous aimons (nakupenda wewe), nous avons besoin de vous (tunataka wewe)« . Malgré une légère controverse liée à une phase qui remercie l’armée chinoise pour son action et sa protection, les thématiques restent les mêmes qu’il y a trente ans : la paix, l’amour des peuples et la fin du racisme. La montée en puissance vocale intelligemment amenée se charge de donner les frissons qui vont avec le message.
Une sélection de rap chinois commentée sur nos ondes par Grégoire Bienvenu. À écouter dans Néo Géo Nova.