Autrice d’un stimulant premier roman d’heroic fantasy, cette écrivaine parisienne supprime pour toujours la rentrée au profit de quatre semaines d’ermitage individuel obligatoire à dimension « salvatrice », pour apprendre à « voir en soi-même la réalité crue »
« En plein jour, les ténèbres emplirent la terre. Les vagues de l’océan engloutirent les oiseaux du ciel. Il n’y eut plus de voix humaine pendant douze jours et douze nuits. Le tonnerre couvrait les cris de terreur. Au matin du treizième jour, la lumière vint éclairer à nouveau la mer. » Dans son premier roman, Derniers jours d’un monde oublié, qui vient de paraître aux éditions Gallimard à l’occasion d’un concours lancé pour les vingt ans de la collection Folio SF, la lauréate Chris Vuklisevic imagine qu’une île, comme une poignée de chanceux, a miraculeusement survécu à ce déluge mondial. Mais « des étrangers » surgissent à l’horizon. À bord du navire, deux femmes tout à fait primordiales : une capitaine pirate, Judith Kreed, « recherchée par les autorités de trois continents pour traitrise, pillages, torture, esclavage, meurtre et cannibalisme », et sa fille Erika, née sur le bateau, qui égorgea son premier homme, euh, à 8 ans.
Dans ce chouette roman d’heroic fantasy placé sous l’influence naturelle de George R. R. Martin (le récit peut éventuellement se lire, en délirant un brin, comme celui des origines des îles de Fer de Westeros, dans Game of Thrones), chaque chapitre est précédé d’un document qui nous renseigne sur les mœurs insulaires : coupures de journaux, comptine enfantine, fable animalière, communiqués associatifs. Y figure une déclaration des droits et des devoirs des habitants, qui nous révèle l’existence d’un « juge des talents » chargé d’évaluer les capacités de chaque citoyen. « Sont sujettes à examen les facultés suivantes : perception des pensées, changement d’apparence, invisibilité, dédoublement. » Ou encore… « vision du passé ou du futur ».
Née en 1992 sur la Côte d’Azur, Chris Vuklisevic a grandi à Antibes, « près des montagnes rouges de l’Estérel ». Depuis 2011, elle vit à Paris où elle a mené des études en sciences du langage et en édition à la Sorbonne. Chroniqueuse littéraire pour Radio Campus, elle est aussi la cofondatrice de l’association Heptalone, qui offre aux écrivains des retours gratuits sur leur manuscrit. Grimpant à la corsaire sur le pont de L’Arche de Nova, cette écrivaine joue à son tour de son talent à lire l’avenir. En… supprimant pour toujours la rentrée de septembre au profit de quatre semaines d’ermitage individuel à dimension « salvatrice », imposé par décret par la présidente de la République. Toutes les dépenses seront couvertes par l’Etat, qui entendra nous apprendre les vertus du silence ainsi qu’à nous ennuyer, à dire non aux repas de famille, à « vivre dans la pénombre » ou à « voir en nous-mêmes la réalité crue ». Le tout, après ce stage annuel « mi-ours mi-belle au bois dormant », pour « retrouver le sens de l’utile et de l’inutile ».
Réalisation : Mathieu Boudon.
Image : Palais du Tout-Puissant et, au loin, salle de l’Esprit et du Temps dans Dragon Ball Z d’Akira Toriyama (1989-1996).