Dans la matinale de Nova, Christiane Taubira réaffirme son soutient à la campagne pour la libération d’Oleg Sentsov
Depuis vendredi, des personnalités du monde culturel se relaient devant l’ambassade de Russie à Paris pour soutenir le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, emprisonné depuis quatre ans en Sibérie pour avoir dénoncé l’annexion de la Crimée par la Russie. Oleg Sentsov purge une peine de 20 ans et a commencé une grève de la faim, le 14 mai dernier : il exige la libération de « tous les prisonniers politiques » ukrainiens emprisonnés en Russie. L’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira soutient la campagne pour la libération d’Oleg Sentsov. Elle était vendredi devant l’ambassade de Russie. Pour elle, au-delà du cas personnel, il y a un enjeu plus large.
Le cas d’Oleg Sentsov s’inscrit-il dans un combat plus large ?
Christiane Taubira : Les déclarations d’Oleg Sentsov lors de son procès le posent lui-même non pas comme une personne qui doit concentrer tous les regards, mais d’une certaine façon, comme un cas qui symbolise la répression de la liberté d’expression, qui criminalise des positionnements politiques et qui renvoie à la question des démocraties des États de droit, du respect de la liberté d’expression, de l’acceptation de la divergence, de l’opposition et de la contestation.
Incontestablement, le cas Oleg Sentsov dont le crime déclaré n’est pas prouvé et a été contesté par des témoins, nous renvoie bien à cela. Dans nos États de droit – dont la Russie qui est institutionnellement un État de Droit et est membre du conseil de l’Europe – est-ce que cette liberté d’expression, de contestation est garantie ?
En creux derrière cette affaire, il y a l’annexion de territoires par la Russie…C’est aussi ce que vous dénoncez, par ce soutien ?
Christiane Taubira : Incontestablement, c’est le point de départ donc ça n’est pas un raccord qui est fait de façon abusive. Le point de départ, c’est l’annexion de la Crimée, c’est la mobilisation, c’est la contestation, c’est la revendication de la Crimée en tant que territoire ukrainien. C’est donc la mise en cause, la mise en accusation non seulement d’Oleg Sentsov mais aussi de 70 autres ukrainiens qui protestent contre le fait qu’ils sont ukrainiens et pas russes. Il faut savoir qu’Oleg Sentsov dit lui-même qu’il est ukrainien et la justice russe lui a imposé la nationalité russe de façon à le juger donc on ne peut pas ignorer que ce qui est générateur, c’est l’annexion de la Crimée.
Le cinéaste Oleg Sentsov, détenu en Sibérie, est en grève de la faim depuis quatre mois, dans un état critique. Il demande la libération de 70 prisonniers politiques ukrainiens : une revendication appuyée par le mouvement de soutien auquel vous appartenez, Christiane Taubira ?
Christiane Taubira : Oui, même si je ne suis pas au gouvernail de cette campagne. Ce sont les nouveaux dissidents, le festival de cinéma Est-Ouest, ce sont maintenant de plus en plus d’intellectuels, d’écrivains, de cinéastes, de réalisateurs, ces personnes respectent les choix d’Oleg Sentsov. Ils respectent aussi ce que dit bien Oleg : « je demande la mobilisation non pas sur ma personne mais sur ces 70 prisonniers ». Évidemment, lorsque nous accompagnons Sentsov, lorsque nous exprimons notre soutien à Sentsov, c’est à la revendication que lui-même pose.
Cet été, l’avocat de Sentsov avait confié que son client était « prêt à mourir pour ses idéaux »… Mourir pour un idéal : une expression qu’on n’entend plus tellement souvent – heureusement peut-être, d’ailleurs… Qu’est-ce que vous en pensez ?
Christiane Taubira : L’histoire des sociétés humaines, l’histoire de l’humanité, c’est une histoire où des personnes se sont engagées de façon absolue, totale, en intégrant effectivement leur sacrifice individuel, personnel, pour faire triompher une cause, des idées, pour faire triompher des revendications, les faire entendre. C’est une idée qui m’est familière, dans la mesure où en Amérique du Sud, qui est mon continent d’origine et d’ancrage, les luttes contre les dominations coloniales et pour les indépendances ont souvent été portées par des leaders, qui posaient soit les armes à la main soit dans des contestations pacifiques l’hypothèse du sacrifice personnel.
L’idée qu’il faut se battre pour la vie, de façon à agir, de façon à participer à la transformation des sociétés, de façon à faire en sorte que par son action, on améliore la vie des personnes les plus vulnérables, des personnes marginales, des personnes dominées, des personnes opprimées, des personnes exclues, cette idée-là est concomitante aussi à cette idée de sacrifice. Donc celles et ceux qui choisissent l’idée du sacrifice en disant « moi je vais jusqu’au bout individuellement, personnellement, et j’intègre l’idée de ma disparition » sont aussi respectables que ceux qui disent « je lutte pour vaincre, gagner, et pour être en mesure d’agir après la victoire », donc je salue et je respecte.
La chronique d’Armel Hemme dans la matinale de Nova.
Visuel : © Wikipédia / Antonymon