Eric Berr, maître de conférence en économie à l’université de Bordeaux et membre des Economistes Atterrés, revient sur une crise financière accélérée par l’arrivée du Coronavirus.
Le Coronavirus a mis la France à l’arrêt. Au niveau économique, cette crise sanitaire apparaît comme un moteur à une crise financière déjà présente. Dans La Grasse matinale d’Armel Hemme et de Thierry Paret, Eric Berr, maître de conférence en économie à l’université de Bordeaux et membre des Économistes Atterrés, nous éclaire.
Mardi, Bruno Lemaire a évoqué une crise économique comparable à celle de 1929. Voit-il juste ?
Sur ce point, je suis malheureusement tenté de lui donner raison. Par bien des aspects, la crise financière qui est en train de débuter est amplifiée par la crise sanitaire que l’on vit. On entend souvent parler du virus qui déclenche la crise. C’est plutôt un accélérateur de choses qui se répètent. En 2008, les mesures nécessaires n’avaient en effet pas été prises. Le même schéma est alors en train de se reproduire, aggravé par cette crise qui nous fait rentrer dans une période inconnue.
Pourtant, les bourses rebondissent avec notamment + 8 % pour le CAC 40 ?
C’est précisément le signe d’une inquiétude forte des marchés financiers et d’une situation qui est très instable. Quand un jour, la bourse baisse de 15% et que le lendemain, elle remonte de 8 %, elle va probablement reperdre la même chose dans quelques jours. Donc au contraire, c’est beaucoup plus inquiétant.
Ce dont on a besoin, c’est de soutenir l’activité réelle.
Comment la situation a-t-elle été gérée, économiquement parlant ?
On a réagi plus rapidement qu’en 2008 et ça, c’est une bonne chose. Les Allemands ont décrété un plan de 500 milliards pour soutenir leurs entreprises, les États-Unis, eux, plus de 1000 milliards de dollars. En France, on a un plan de 300 milliards de garantis de crédits pour les entreprises. C’est assez insuffisant mais c’est déjà ça. Au niveau européen, il y a aussi eu une réaction rapide. Tout va dans le bon sens. Le problème est que si on continue de mener les mêmes politiques, tout ça ne servira pas à grand-chose. Parce qu’il ne s’agit pas que de renflouer les marchés financiers et rien d’autres. Ce dont on a besoin, c’est de soutenir l’activité réelle.
Il faudrait donc profiter de cette crise pour changer les choses ?
Oui, c’est l’occasion de se réinventer. On a aujourd’hui un recul de 30/40 ans sur des politiques dont on voit qu’elles nous mènent dans le mur, que ce soit économiquement avec ces crises financières à répétition, que ce soit socialement, que ce soit en termes de destruction des services publiques comme la santé… On pourrait aussi parler de l’éducation ou de l’écologie. Donc bien évidemment, c’est l’occasion de tout remettre sur le métier à l’ouvrage parce que ce ne sont pas les politiques qui nous ont mené dans le mur qui vont nous permettre de sortir de cette crise.
Si on veut sortir de cette crise par le haut, c’est par la solidarité qu’on y arrivera.
Qu’est-ce qu’il faudrait envisager ?
En 1945 quand on sort de la guerre, on a une ambition collective. On crée la sécurité sociale, une protection sociale qui a fait notre force pendant des années mais qui a été détruite progressivement au cours des 20 dernières années. Si on veut sortir de cette crise par le haut, c’est par la solidarité, la coopération et non pas par la compétition et l’égoïsme, qui sont les valeurs cardinales depuis 30 ans que l’on pourra s’en sortir. Il faut donc envisager les nouvelles protections de demain, la réindustrialisation. Cette mondialisation est aussi un facteur de cette propagation si rapide du virus avec ces économies totalement interpénétrées, des échanges extrêmement importants entre pays. Il va falloir repenser tout ça pour avoir quelque chose de peut-être un peu plus modeste mais tourner vers l’essentiel et vers la transition écologique et en mettant les gens au premier plan.
La Grasse matinale d’Armel Hemme et de Thierry Paret, du lundi au vendredi de 8h à 12h.
Visuel © Getty Images / Thomas Trutschel