La chronique de Jean Rouzaud.
Longtemps, je me suis demandé pourquoi Paul Cézanne, le peintre de la montagne Sainte-Victoire à Aix-en-Provence, était une référence de l’Art moderne, moi qui ne voyais que de jolies pommes sur nappe blanche ou une montagnette baignée de soleil…Même ses arbres, ses nus me paraissaient mal peints, grossiers, voire pas finis…
Le Cubisme avant le Cubisme
Mon prof de dessin commença par me montrer que, par des touches de peinture presque carrées, Cézanne avait le premier montré la diffraction de la lumière en une multiplicité de « plans », comme des cassures, préfigurant le cubisme ! Et effectivement, cette observation du détail technique, permettait de « voir » cette transcription de la vibration réussie, du soleil en Provence, si fort qu’il fait parfois trembler les surfaces, comme un mirage, un fourmillement de brillance ou de mat.
C’est un livre de considérations sur l’Art de David Herbert Lawrence (grand libertaire et auteur contestataire de la libération, du sexe, de la condition féminine, à ne pas confondre avec l’autre T.E .Lawrence, le soldat de Lawrence d’Arabie et de son grand livre témoignage : Les sept piliers de la sagesse »). Il est l’auteur de L’amant de Lady Chatterley, mai aussi du Serpent à plumes ou d’autres voyages – romans forts, en Grèce et au Mexique, bref un grand auteur – qui a achevé de me révéler d’autres trouvailles de Cézanne.
De son côté, Lawrence bataillait avec la peinture, sans jamais y réussir comme en littérature, théâtre, poésie, nouvelles, récits de voyages…Peut-être parce qu’il a commencé très tard la peinture (vers 40 ans !), que Cézanne était plus mûr, plus réfléchi, et n’avait pas de temps à perdre, qu’il s’est efforcé de trouver des solutions à la peinture figurative.
Exigeant, obstiné, travailleur…
En effet Cézanne était exigeant, obstiné, travailleur…et après l’observation, les notes, dessins, esquisses sur place, dans la nature, il rentrait à l’atelier pour recomposer, penser et contrôler exactement ce qu’il voulait faire…Et au nombre de ses préoccupations, une idée très moderne : comment échapper au « cliché » du paysage, du nu, de la nature morte répétée, académique, attendue et inutile ?
Il ne supportait pas de refaire un tableau correct, composé, appliqué, une toile de plus sur un sujet mille fois fait, la répétition infinie d’un tableau presque identique, obéissant aux lois du genre.
Et, comme il peignait sur fond blanc, directement , pour que la lumière de la toile blanche passe entre les touches ou en transparence, il se mit à découvrir une méthode : ne pas finir (!), laisser du blanc, des vides, afin que seules les parties intéressantes demeurent, aérées, sans être bouchées par les finitions, l’excès de peinture, etc.
Une idée de « casser » l’exécution appliquée, finie du tableau, de le laisser respirer, exister en tant que travail d’esquisse, de réflexion et non comme un objet fini, prêt à la vente et à l’exposition…Avant de finir sur le mur du salon.
Son essai sur l’art est une rareté : Lawrence y analyse avec finesse et radicalité les errements de l’Art. La beauté malade est le titre de cet essai incomparable aux éditions Allia. Il y dénonce cinq siècles de civilisation et de puritanisme (victorien, anglican, américain…) et comment l’expression artistique bridée se mourait à ses yeux, vers la fin XIXe.
L’Art était devenu tiède, ennuyeux, privé de présence charnelle. Il relie la frustration et le puritanisme qui ont séparé l’art de la sensualité indispensable aux humains. Il était le seul à le faire.
La beauté malade. D.H. Lawrence. Éditions Allia. 80 pages. 6 euros 20