C’est le sujet du documentaire de Viktors Buda, « Era of Dance ».
Derrière chaque mouvement se cache bien souvent une personne oubliée, ou tout simplement restée cloîtrée dans l’ombre. Ce fût le cas de DJ Erot pour la disco norvégienne, dont nous vous racontions l’histoire ici.
Dans son documentaire Era of Dance, Viktors Buda met la lumière sur un autre inconnu, Indulis Bilzens, qui selon lui, a permis à la culture rave de se faire une place en URSS.
Indulis Bilzens naît en 1940 à Riga, mais grandit en Allemagne de l’Ouest après la déportation de son père en Sibérie et le départ de sa mère pour fuir l’invasion soviétique. Il étudie la musique à Düsseldorf, puis rejoint l’université de Cambridge. À la fin des années 70, il commence à rendre visite à son pays natal, la Lettonie.
Il se lie d’amitié avec la DJ allemand Maximilian Lenz, aka WestBam, diminutif de Westphalia Bambaataa, qui le familiarise avec la musique électronique américaine de l’époque. C’est ce duo qui à la fin des années 80 viendra introduire cette même musique aux Lettons.
Dans ce documentaire, réalisé à partir de 12 ans de recherche afin de récupérer des archives, Viktors Buda donne également la parole aux pionniers de la musique électronique aux États-Unis, qui ont selon lui joué un rôle dans cette ascension de la techno en URSS. C’est le cas de Derrick May. Le réalisateur nous raconte l’épopée de ce documentaire, qui fait de la Lettonie, « le nid de la culture du DJing en URSS ».
Pourquoi la ville de Riga est-elle devenue le berceau de techno dans les années 80 en URSS ?
Viktors Buda : Les pays baltes ont toujours formé un pont entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est. Encore plus pendant la période soviétique. À cette époque, c’est Riga qui était la ville la plus proche de l’Ouest. L’histoire du film est plus attachée à l’histoire personnelle des héros qui ont participé à cette aventure historique, plutôt que de parler du fait que c’est là que la techno est apparue en premier.
Vous dites que la techno est apparue dans les pays baltes en 1986, par quel moyen exactement ?
Viktors Buda : Grâce à quelques personnalités, Riga est devenue un des centres de la musique techno dans le bloc de l’Est. Elle est arrivée dans l’Union Soviétique via Riga de la manière la plus improbable qui soit. C’est avant tout le récit d’un homme extraordinaire, Indulis Bilzens, qui a joué un rôle significatif dans le début de ce qu’était cette nouvelle culture à l’époque du régime soviétique.
Comment le gouvernement a accueilli ce mouvement ?
Viktors Buda : Ayant parlé avec certaines personnes qui ont contribué aux événements de l’époque, il m’a vite semblé clair que les autorités soviétiques ne comprenaient pas vraiment ce mouvement, et ce que la musique électronique représentait à la fin des années 80. Je pense que l’arrivée de la culture techno se justifie davantage par le fait que les autorités n’avaient aucune information sur le mouvement, plutôt que par un positionnement de leur part. De manière générale, les autorités essayaient de faire barrage à tout ce qui était nouveau.
De quel équipement est-ce que les DJs bénéficiaient?
Viktors Buda : Ils utilisaient des cartouches 8 pistes ou des magnétophones à bobine, ce que les gens appelaient les machines Real2Reel, il n’y avait pas vraiment de platines professionnelles.
Quelles étaient les références en terme de DJs pour les Lettons à l’époque. Quelles étaient les premiers DJ d’origine lettone ?
Viktors Buda : Aujourd’hui, les fans de musique électronique ne savent que très peu, voire n’ont jamais entendu parlé des noms des DJS qui ont sorti les premiers vinyles dans l’Union Soviétique – Janis Krauklis, Robert Gobzins (EastBam), et Ugis Polis notamment, mais c’est eux qui étaient destinés à faire la plus grande des contributions au développement de la scène musicale électronique russe moderne.
Quand est-ce que les premières raves ont fait leur apparition à Riga, est-ce qu’il y avait des endroits propres à la techno sur place ?
Viktors Buda : À l’époque, c’était de l’underground surréaliste. Au tout début de la culture dance, comme on la décrit au milieu des années 80, elle n’existait pas vraiment ici. Il a fallu attendre 88 pour qu’elle imprègne l’identité des jeunes, comme ce fût le cas à Berlin. En Europe, ça commence avec la mode de l’Acid, après le summer of love à Londres.
Mais c’est bien à l’Est qu’on sentait le pouvoir explosif de la musique. C’était le début du changement quand Gorbachev prononçait “Glasnost” et “Perestroïka”. Quelque chose d’inspirant est venu de l’Union Soviétique. Un nouveau phénomène a affecté deux mondes parallèles, l’Ouest et l’Est.
De quelle manière est-ce que la chute du mur de Berlin a affecté la scène techno en Union Soviétique ?
Viktors Buda : Si on jette un coup d’oeil à l’histoire, on voit que la révolution qui s’est opérée avec la culture techno n’a pas marché partout dans les pays du bloc de l’Est. Elle était invisible dans certains pays. Au début des années 90, l’invasion de la techno à Saint Petersburg et Moscou s’explique avant tout avec la chute de l’union soviétique. Les gens voulaient juste faire partie de quelque chose. Et c’était comme le son du futur. Le début de cette histoire à Riga peut s’expliquer par des circonstances, comme celle de la lutte des Lettons pour leur indépendance. La musique pouvait devenir un challenge pour la société.
Viktors Buda : Je pense à ce que dit Derrick May : « Quand le mur de Berlin est tombé, ça n’a pas seulement changé la scène, ça a changé la musique. Car c’est là qu’est arrivée une énergie et une influence en provenance de l’Est. Ce n’était pas une question de création, c’était plus une question de politique, de colère, d’agression et de liberté à l’époque. Ça a développé une mentalité révolutionnaire chez toute génération. »
Le film Era Of Dance fait actuellement la tournée des festival, avec une projection en septembre au Riga International Film Festival. Aucune date n’est pour l’instant prévue en Europe.
Visuel : © Capture d’écran Youtube