Transformer le son en musique.
Y a-t-il plus organique comme musique que le son même du monde qui nous entoure ? La nature, notre environnement, nos sociétés, ont un son. Et sont, malgré eux, des forces créatrices. Depuis des décennies, incorporer des sons « naturels » à la musique a été l’une des grandes préoccupations des musiciens.
Voici un guide rapide de l’évolution de cette pratique musicale dans la pop.
Un manifeste futuriste
Dès le début du XXe, le mouvement artistique futuriste s’empare d’un débat sur la musique, En réponse au Musica Futurista de Francesco Balilla Pratella, c’est Luigi Russolo qui, en 1913, définit l’Art des bruits, qui préconise et théorise l’emploi du son-bruit dans le domaine musical, et anticipe de façon vertigineuse l’avènement de musiques nouvelles fondées sur les nouveaux bruits produits par les machines inventées par l’homme, l’idée que l’homme-industriel est paré à la découverte et la compréhension de nouvelles musiques. Par ce texte, Russolo étend la musique au champs des sons bruts jusqu’à lui faire accepter tous les sons et tous les bruits imaginables.
Par la suite, et dans cette perspective, il réalise avec Ugo Piatti des machines sonores baptisées « intonarumori », qui anticipent et amènent les musiques concrètes et électroniques.
Musique concrète
La première pierre angulaire qui utilise littéralement les sons qui nous entourent pour les faire muter en musique est l’oeuvre de Pierre Schaeffer dans les années 40. Il définit ainsi la démarche qui est la sienne :
« Lorsqu’en 1948, j‘ai proposé le terme de « musique concrète », j‘entendais, par cet adjectif, marquer une inversion dans le sens du travail musical. Au lieu de noter des idées musicales par les symboles du solfège, et de confier la réalisation concrète à des instrumentistes connus, il s‘agissait de recueillir le concret sonore, d’où qu’il vienne, et d‘en abstraire les valeurs musicales qu’il contenait en puissance. »
La technologie dans la composition
C’est le son, pensé comme matière, qui est alors au coeur de la réflexion mais aussi de la création, celle d’un discours musical, qui aboutira notamment à « L’Étude aux chemins de fer » et à la « Symphonie pour un homme seul ». Il est alors question de manipuler le son et les enregistrements divers et variés. En utilisant des sons déjà enregistrés sur vinyle notamment, qu’il rejoue et boucle, il est l’un des premiers à faire intervenir la technologie dans la composition.
Par la suite, l’apparition des sampleurs facilitera grandement la possibilité de faire muter ces sons enregistrés bruts en musique, en séquençant, en bouclant, afin de donner le rythme propre à de la musique.
L’apparition du field recording à proprement parler
Dès lors, beaucoup de musiciens commencent à orienter leurs micros non pas vers leurs instruments, mais vers la nature. C’est le cas notamment du land artist Walter De Maria qui enregistre en 1969 Ocean’s Music, fondé sur l’enregistrement des vagues. On rappelle d’ailleurs que Walter De Maria fut batteur du groupe The Primitives, soit une première version du Velvet Underground (avec Lou Reed et John Cale).
Ce disque d’enregistrement inspire un certain nombre de personnes, notamment Tony Conrad, autre proche du Velvet Underground. En 1969, ce dernier demande à Irving Treibel d’aller lui aussi enregistrer des sons de vagues à Coney Island pour son film Coming Attractions. Il va en résulter un phénomène musical. Entre 1969 et 1979, Irving Teibel enregistrera des bruits de cages d’oiseaux dans le Bronx, des marécages dans le sud des États-Unis, et même des tempêtes depuis sa chambre. Du pur field recording, qu’il publiera sous la forme de onze différents disques intitulés Environnement qui connaîtront un vaste succès pour leur vertu apaisante.
Autre grand classique de la musique de field recording, la pièce originale par excellence, ces enregistrements de chants de Baleine, qui furent un classique de roulage de Spliff dans les 70’s.
Aujourd’hui régulièrement des enregistrements de field recording bruts voient le jour, donc quelques merveilles d’enregistrement réalisées par Chris Watson par exemple. Ou Martine Tucker qui enregistre l’electronica naturelle d’insectes, avec ces chants nuptiaux de libellules au coeur brisé… (Et ce texte est écrit sobre).
L’ambient
C’est dans les années 70 que Brian Eno fait entrer de plain-pied la field recording dans la composition musicale, Alité, il compose une série d’études musicales dont le tome 4 est le plus abouti et qui créera un genre, l’ambient. En mêlant du son de la campagne du nord de l’Angleterre, mais aussi des enregistrements du Ghana et du Honduras, le tout harmonisé, et incluant aussi des estampes du passé musical de Brian. Le but est de s’affranchir du ryhtme pour créer, à partir de collages, une musique qui peut soit s’écouter, soit s’entendre. Une exploration musicale d’un espace, totalement révolutionnaire à l’époque.
Une généralisation dans la pop
Aujourd’hui, le field recording est partout. Il est omniprésent dans le rap sous la forme de Skits, est utilisé à foison par les musiciens électroniques et même pop, Samba de la Muerte qui enregistre un courant d’air, on vous parlait récemment de cet excellent disque sur la Malaisie fondé en grande partie sur le field recording, on peut évoquer des dizaines et des dizaines de noms comme Mala en est un grand friand, Molecule qui enregistre dans le grand Nord ou encore Thylacine qui plus d’un demi-siècle après Pierre Shaeffer met lui aussi les trains en musique.
Enfin, l’homme qui est sans doute la figure la plus émergée du field recording c’est bien évidemment Jacques, qui harmonise les sons glânés à droite à gauche et qui en a fait une signature.
Instrumentales, Dj Versions, Dub jusqu’à la norme du Riddim, l’essence même de la révolution musicale jamaïcaine passe par le recyclage et la reprise, tout en faisant preuve d’une vivacité créative hors norme.
Samples d’animaux, de nature ou du quotidien, le field recording s’est définitivement installé dans de paysage musical en s’appropriant des sons enregistrés sublimés en musique.
Visuel : (c) DR