Selon un étude américaine, la montée des eaux pourrait avoir la peau du web.
Pour certains, c’est une préoccupation de longue date. Mais elle n’a pas intéressé grand monde jusqu’à ce qu’une étude américaine tire la sonnette d’alarme. Le 16 juillet dernier, le chercheur américain Paul Barford, spécialiste de l’internet « physique » (c’est-à-dire des câbles et des centres de stockage de données, pas des lolcats) présentait à Montréal une étude conjointe entre l’Université du Wisconsin et celle de l’Oregon, évaluant officiellement les risques du changement climatique sur l’internet mondial.
Une histoire de câbles
Avant toute chose, rappelons-nous qu’internet n’est pas un nuage de wifi envoyé sur terre par l’opération du Saint-Esprit, mais bien un réseau de câbles, sous-marins et souterrains, par lesquels circulent les données de communication du monde entier. Une infrastructure créée par l’Homme, et qui, comme toutes les autres, est à la merci de Mère Nature, qui a elle-même tendance à la rébellion depuis qu’on s’est mis à détruire son écosystème à coup de pollution, de déforestation, et d’extractions en tous genres.
L’étude menée par Paul Barford met en garde contre la montée des eaux. Selon lui, d’ici 2033, plus de 6 000 kilomètres de câbles souterrains, qui sont en général installés le long des côtes, pourraient être submergés par les eaux (à noter que cette étude est uniquement centrée sur les États-Unis mais offre un bon aperçu de ce qui risque d’arriver un peu partout).
À la différence des câbles sous-marins, les câbles de fibre optique terrestres sont enrobés d’une matière imperméable, mais pas totalement waterproof et ne sont pas fait pour être submergés. Il faut dire qu’à l’époque où ils ont été posés, dans les années 90, la question de la montée des eaux ne se posait pas encore tout à fait. Et le temps file. L’étude montre qu’à New York, une ville particulièrement exposée à la montée des eaux, des noeuds de communication cruciaux pourraient être submergés dans les quinze prochaines années. Le timing a de quoi surprendre les chercheurs eux-mêmes : « Nous pensions que nous aurions au moins cinquante ans pour y réfléchir. Nous n’avons pas cinquante ans », assène Paul Barford.
« Nous pensions que nous aurions au moins cinquante ans pour y réfléchir. Nous n’avons pas cinquante ans. »
Le saviez-vous ? On peut faire fondre internet
Pour ne rien arranger, d’autres effets du dérèglement climatique menacent internet et la technologie en général. En Australie, en 2015, certains habitants de la ville de Perth se sont vus privés de connexion internet après que des records de chaleur ont été atteints. Fun fact, il s’avère qu’on peut littéralement faire « fondre » internet (ou en tout cas les centres de stockage de données). C’est ce qui est arrivé au fournisseur d’accès iiNet, qui a trouvé ses serveurs en surchauffe suite à une panne de climatisation due à la canicule, et n’a eu d’autres choix que de les éteindre avant qu’ils ne commencent à ramollir.
Au rayon des catastrophes naturelles, le monde a aussi connu une récession de disques durs après de violentes inondations en Thaïlande en 2011, pays qui fournissait la plupart des composants nécessaires. Aux États-Unis, les ouragans, tornades et autres typhons ont régulièrement raison des réseaux de communication, dont internet, qui, paradoxalement, est devenu un outil indispensable à l’acheminement d’aide d’urgence, d’eau et de nourriture lorsque ces catastrophes ont lieu.
Le cyclone tropical Harvey qui a frappé l’Amérique Centrale et le Sud des États-Unis en 2017 a montré l’importance des réseaux sociaux en situation de crise. « Pour la première fois, les appels à l’aide sur les réseaux sociaux ont été plus nombreux que ceux passés par téléphone aux services de secours », analysait alors dans Texas Monthly un spécialiste en communication digitale. Facebook, Twitter, et Zello, une application texane imitant le système des talkie-walkies, ont été des outils cruciaux dans l’acheminement d’une aide d’urgence citoyenne et improvisée, venue pallier l’échec de la Croix-Rouge, et d’autres agences fédérales, qui ont laissé toute une partie de la population en détresse.
Capitalisme et Système D
Il est aussi important de noter qu’internet tel qu’on le connait aujourd’hui a été façonné par le capitalisme, autant dans son contenu que dans ses infrastructures. Dans un article sur le sujet, Quartz rappelait récemment qu’en 2012, lorsque l’ouragan Sandy a plongé Manhattan dans le noir, un seul bâtiment brillait encore de mille feux : la banque Goldman-Sachs. Les entreprises les plus riches possèdent des systèmes de protection ou de secours qui, à moyen terme, les laisseront moins impactées par les catastrophes naturelles que le reste de la population.
Les victimes de l’ouragan Katrina le savent mieux que personne. À la Nouvelle-Orléans, certains vivent toujours dans la plus grande pauvreté, treize ans après ce désastre. Mais sur le terrain, au lendemain de la catastrophe, des acteurs inattendus se sont montrés solidaires. Alors que les communications coupées entravaient les actions des services de secours, des particuliers, chercheurs, entrepreneurs, se sont alliés à travers le pays pour créer les outils manquants. Des systèmes de communication par onde radio, ou par satellite pour pallier au manque de réseau, des cartes interactives fabriquées à partir de données publiques, des réseaux wifi locaux… Katrina a marqué l’histoire de nombreuses manières mais notamment dans le champ des technologies de communication d’urgence. Nombreux sont ceux qui, depuis, ont encouragé les régions à risque à créer des réseaux communautaires et locaux, afin de prendre le relai de l’internet global.
Depuis la publication de l’étude de Paul Barford, plusieurs solutions ont été envisagées. À court-terme : construire des barrages. À moyen-terme : rendre les câbles résistants à l’eau. Mais à long-terme, les choses sont claires. Internet est le plus gros pollueur mondial. Pour le sauver, il faut sauver la planète.
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