En quelques mois, il est devenu le pape du YouTube game politique en France. Le prince du pouce bleu, le prophète de la stratégie numérique, dans le paysage politique français. Mélenchon ne se lasse plus de le dire : il a plus de 200 000 abonnés sur Youtube, 600 000 sur Facebook, 950 000 sur Twitter. JLM s’est métamorphosé en candidat numérique, très possiblement le seul que la France ait jamais connu. Au sein de la lourde machine rouillée qu’est le système politique actuel, il a décidé de baser la grande majorité de sa communication sur Twitter, Youtube, et même Reddit. Petit à petit, « Méluche »,pour les intimes, est passé de l’homme politique bougon au candidat futuriste qui se pointe à ses meetings en hologramme. Mais dans quel but ?
Pionnier, Jean-Luc Mélenchon l’est certainement, et ne se lasse pas de le répéter. Son équipe se targue d’être aux commandes de la « première chaîne YouTube politique de France ». C’est-à-dire que parmi tous les politiques qui ont une chaîne à leur nom, il est celui qui possède le plus d’abonnés. Mélenchon se voit désormais en Christophe Colomb victorieux du « continent numérique », comme il l’appelait lors de son meeting du dimanche 5 février. Pardon, comme l’appelait son hologramme lors du meeting du 5 février.
En vidéo – En plein meeting à Lyon, Mélenchon se téléporte en hologramme à Paris https://t.co/3JdLXDjOj5 pic.twitter.com/PCmygzkpOA
— BFMTV (@BFMTV) February 6, 2017
On s’est frotté les yeux plusieurs fois, mais oui, c’est bien un Méluche virtuel qui s’est adressé à 6 000 personnes aux Docks de Paris ce dimanche là. Une arrivée dans un faisceau bleu digne des meilleures téléportations de Star Trek, un bruitage d’un futurisme un brin désuet qui rappelle les portails temporels de Kaamelott, et un Jean-Luc pas perturbé pour un sou par ce nouveau don d’ubiquité.
Coup de com, coup de pub, coup de chance, coup de génie ? Peu importe, pour l’équipe de La France insoumise, tous les coups étaient permis, puisqu’à Lyon se tenaient également ce jour-là les meetings de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron. Pour Mélenchon, il s’agissait avant tout d’occuper l’espace médiatique. Raté, d’ailleurs, selon l’analyse du Lab. Même en hologramme (qui n’en était pas véritablement un comme le faisait remarquer Xavier de la Porte), JLM n’a pas réussi à voler la vedette à Marine Le Pen. C’est le discours de la candidate frontiste que les chaînes d’info en continu ont choisi de diffuser en intégralité. L’équipe de Mélenchon mise pourtant toute sa campagne sur cette occupation de l’espace médiatique, et surtout numérique.
Règle n°1 : Tout faire comme Bernie
C’est sous la houlette de Sophia Chikirou, ex-attachée de presse (en 2012) devenue Directrice de la communication, que le nouveau Mélenchon est né. Entre les deux élections, Chikirou est allée grappiller les secrets du candidat Sanders en infiltrant tout simplement son staff. De la campagne américaine, elle rapporte l’idée qu’un contact direct avec le public est la clé de la montée en puissance d’un candidat outsider. Outsider, Mélenchon ne l’est pas plus que Sanders dans les faits (ils sont, ou ont tous deux été sénateurs), mais il s’est dessiné ce statut. Et c’est via des campagnes de mails, de coups de fils, des prises de contact sur les réseaux sociaux que Sanders a acquis un électorat qui ne connaissait même pas son nom quelques mois plus tôt.
Les insoumis se sont donc attelés à la tâche. Pour gérer autant de données de contacts, les équipes utilisent des plateformes qui permettent de créer un site web, mais aussi de brasser et analyser les données de militants qui rejoignent le mouvement, communiquer avec eux en créant une communauté et des discussions, des alertes pour les événements politiques, et, bien sûr, une plateforme récolter leurs dons. Ces CMS (Content Management Systems) ont pris une place indispensable dans la gestion des campagnes électorales. L’équipe Mélenchon crée donc jlm2017.fr à l’aide de NationBuilder.
Comme le note Numerama, « l’outil, bien géré, transforme n’importe quelle candidature en mouvement communautaire, rappelant irrémédiablement les méthodes de Podemos, le nouveau parti espagnol ultra-connecté qui ne finit plus de créer la surprise lors des élections. »
Règle n°2 : Prendre d’assaut YouTube
Car Bernie n’est pas le seul modèle de la France insoumise, qui pioche aussi dans les idées de ses amis espagnols. Parmi celles-ci, les vidéos « Pas vu à la télé » sur la chaîne de JLM. Elles sont directement inspirées de l’émission de télévision La Tuerka de Pablo Iglesias, le leader de Podemos. Dans ces vidéos, Jean-Luc Mélenchon y joue les journalistes, interviewe lui-même des personnalités dont il estime qu’elles ne sont pas assez médiatisées.
Sur sa chaîne (qui a gagné plus de 180 000 abonnés en six mois), on trouve d’autres vidéos dans lesquelles il apparaît seul, des FAQ, mais aussi des « Revues de la semaine » où il passe, en revue donc, l’actualité récente et toute autre thématique qu’il lui chante d’aborder. Une manière, comme nous l’explique Manuel Bompard, son directeur de campagne, « de développer les sujets qui n’intéressent pas les médias traditionnels, comme l’économie de la mer, par exemple. Cela nous permet d’être dans le fond, pas dans la polémique ou dans la petite phrase. »
« Plus je m’exprime ici, moins j’ai besoin des médias qui tortillent mes citations, ou les inventent », explique dans une vidéo un Méluche qui n’a jamais caché son mépris pour les journalistes. Il n’est pas uniquement question de mettre en valeur son discours, mais aussi (et surtout) de faire un un pied de nez (pour rester polis) aux médias traditionnels.
Avec plus de 200 000 abonnés, dont le nombre ne cesse d’augmenter, plus besoin de tenter de se faire entendre sur le plateau de TF1 ou BFMTV. Le chef des insoumis devient son propre média. Il n’est plus « dans la polémique », c’est sûr, il n’est même plus dans le dialogue, puisqu’il s’auto-interviewe désormais sur son canapé. Le débat est plus apaisé, et ce pour des raisons évidentes : il n’y en a aucun.
Pour le candidat, cette visibilité est une véritable prise de pouvoir. Ses vidéos ne payent pas de mine mais elles coûtent moins cher qu’un clip de campagne et sont bien plus confortables qu’un passage dans une émission politique. Il ne manquait à Jean-Luc que l’adhésion des internautes, ce qu’il a obtenu notamment en s’appropriant les codes des YouTubeurs.
Certains regardent d’un oeil bienveillant ce « papi qui fait des vidéos », comme nous le décrit Ludo, de la chaîne Osons Causer, qui décrypte la communication politique et les mouvements sociaux. Sa chaîne est volontiers citée par Mélenchon comme l’une de ses inspirations, et les idées politiques du YouTubeur ne sont pas non plus très éloignées de celles du candidat. « C’est habile, il fait des blagues, des clins d’oeil… Il parle de manière horizontale, c’est intime, proche du public », analyse Ludo. « Il reprend les codes des YouTubeurs, par exemple, il cite les gens qui parlent de lui. C’est comme ça qu’on grandit sur les réseaux sociaux. »
Mais les YouTubeurs prennent aussi la liberté de donner deux trois leçons de podcast au candidat, qui, s’il est un ancien de la politique, reste un néophyte sur la plateforme. Lorsqu’il s’offusque que France Inter ait voulu tuer sa chaîne après s’est fait striker par la radio à qui il avait piqué des images (de lui), le youtubeur DanyCaligula se charge de lui rappeler qu’il vient de rencontrer là l’un des plus grands obstacles des YouTubeurs. Depuis, la lutte contre la « censure privée » a intégré le programme de Jean-Luc Mélenchon. Et, par ailleurs, ses propositions numériques sont à retrouver (et à débattre) sur Reddit (oui oui).
Règle n°3 : Supplanter l’extrême droite
Sur Reddit, justement, au sein de /r/melenchon/, on se pose la question de comment repousser le FN sur Youtube, notamment suite à l’ouverture d’une chaîne par Florian Philippot le 10 janvier dernier, qui imite la stratégie de son adversaire politique. Il faut quand même signaler qu’avant ces deux-là, Jean-Marie Le Pen a été le premier vrai pionnier de la chronique Youtube, avec son Journal de Bord hebdomadaire dont le 459ème épisode est sorti la semaine dernière.
Internet, et Youtube en particulier, ont longtemps été le terrain de jeu favori de l’extrême droite, et le terreau fertile de la fachosphère. Les trois créateurs d’Osons Causer affirmaient d’ailleurs à Streetpress s’être inspirés de youtubeurs comme Alain Soral, dont ils voulaient offrir le contrepoint idéologique. Comme le démontre JDay dans une vidéo sur la stratégie Youtube des politiques, la moitié des douze premières chaînes politiques de France sont liées au FN.
Pas de quoi faire fuir un Mélenchon qui, comme il se présentait à Hénin-Beaumont face au FN en 2012, chasse le FN sur ses terres, qu’elles soient virtuelles ou physiques.
Règle n°4: Draguer la jeunesse de France
Si JLM est présent sur à peu près tous les réseaux sociaux (même Snapchat), sa communication ailleurs que sur Youtube, reste assez classique. Il ne tweete pas lui-même, et en 2013 il admettait aux Inrocks ne pas utiliser son compte par précaution : « J’ai mis un coupe-feu à mon compte Twitter. Je n’y accède pas directement et je ne sais pas le faire fonctionner : c’est volontaire ! Sinon, je me connais, je n’arrêterai pas. En plus, comme j’ai la langue pointue, ça créerait des incidents à répétition. »
C’est son équipe de campagne, notamment sous les ordres d’Antoine Léaument, qui se charge de tweeter, comme elle se charge de sonder le web. Et avec l’accord du principal concerné, elle remercie les auteurs d’hommages comme Khaled Freak, mais aussi ses soutiens politiques.
C’est sans doute sur le forum 18-25 ans de jeuxvideo.com que cette politique a le mieux payé. Une communauté, qui discute de tout, de rien, de n’importe quoi, et parfois de politique. En novembre dernier, l’un des forumeurs propose un sondage Mélenchon – Le Pen et attire l’attention de l’équipe de campagne. Mélenchon arrive deuxième, avec 41% des voix. Dès le lendemain, dans sa « revue de la semaine », le candidat remercie ses soutiens sur le forum (par ailleurs largement utilisé par des sympathisants FN), et y déclenche une véritable guerre. Comme le relate Slate, chacun se met à choisir un camp politique et défendre son candidat à grand renfort de mèmes.
Autant la stratégie Youtube était assez inhabituelle, autant la galvanisation des troupes sur jeuxvideo.com est totalement hallucinante. Et pourtant, c’est bien le pari qu’a fait l’équipe de la France Insoumise. Créer un engouement politique chez les plus jeunes et les moins politisés en utilisant les codes du web.
C’est inattendu dans le sens qu’aucun politique jusqu’ici n’a réussi à s’adresser aux moins de 25 ans sans être complètement ridicule. Comme l’analyse le youtubeur Jean Massiet de la chaîne Accropolis dans la vidéo de JDay : « On disait que 2007 était la campagne des blogueurs. 2012 était celle de Twitter. Pour la campagne 2017 tout le monde presse qu’il va se passer un truc autour de Youtube. »
Pour lui, une meilleure utilisation de la plateforme pourrait radicalement changer la manière dont les politiques s’adressent à leur jeune public. « Il faut que les politiques arrêtent de s’adresser à nous comme des consommateurs, comme des électeurs, mais plutôt comme à des citoyens. (…) YouTube c’est d’abord l’échange. On est autant sur YouTube pour dire des trucs aux gens que pour écouter les gens nous dire des trucs. » Et le YouTubeur, ancienne plume de Marisol Touraine, de noter que Mélenchon commence à comprendre, à se détendre, « et même à rire » dans ses vidéos.
Règle n°5 : Croiser les doigts
Mais pour Romain Badouard, chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise sur l’engagement politique en ligne, « Le nombre d’abonnés est un indicateur d’intérêt pour le personnage, mais cet intérêt ne vaut pas une adhésion, et ne se transformera pas forcément dans les urnes. Car contrairement au vote, l’engagement en ligne est éphémère et peu contraignant. Mélenchon utilise les bons canaux pour toucher un public jeune, mais reste à savoir si celui-ci va aller voter. »
Une telle stratégie numérique se traduira-t-elle dans les urnes le 23 avril ? En tout cas, la numérisation des politiques (littéralement, dans le cas de Mélenchon) a au moins l’intérêt de faire parler des problématiques numériques et de rajeunir les débats politiques. Le début d’un renouveau de la classe politique ? Cf règle n°5.