La chronique de Jean Rouzaud.
Le livre de Karim Amellal aux Éditions Demopolis a le mérite de remettre les pendules à l’heure. Analyser les nouvelles méthodes de plateformes en ligne pour soi-disant libérer le travail est édifiant.
Lorsque la rapidité se paie au prix fort
Ces sociétés qui cherchent à tirer un pourcentage de la simple mise en ligne et en contact utilisateurs et fournisseurs (d’objets, de services, de courses, de renseignements…), ne doivent pas nous faire oublier que la discutable rapidité se paie au prix fort. Disons qu’elles ont été un mal nécessaire, pour combler de nouvelles demandes (parfois exagérées), des expédients pour fournir toujours plus et gagner toujours plus. Mais est-ce tenable ?
On peut accepter des petits boulots d’appoints, des salaires plus bas, mais pour un temps donné. Karim Amellal ne croit pas à leur durée. Il nous signale toutes les faillites discrètes et les amendes à venir pour ces géants goinfres, exploiteurs de petites mains. En plus, l’auteur attire notre attention sur la mise en vente de choses « pour le monde entier », sans qualités particulières, des « dénominateurs communs » dont l’idée de qualité est absente : des transports, des chambres standards, des pizzas ou sandwiches, des choses non limitées, afin d’en démultiplier à l’infini les filiales.
Cynisme et capitalisme sauvage
Sans même entrer dans le détail des travailleurs non salariés, sans protection, ni avantages sociaux, nous pouvons tous constater que c’est du travail à la tâche, comme au XIXe siècle !
Parler de liberté, de flexibilité, ou pire, de « partage », c’est faire preuve d’un cynisme à hauteur de ce capitalisme sauvage, de cette stupide globalisation, la grande toile d’araignée où ces plateformes voudraient nous faire tous coller.
Autre aspect intéressant de ce livre, – qui analyse chaque entreprise, les soubresauts des start up qui se vendent ou meurent -, c’est l’historique des lois qui défendent les droits de salariés, par rapport à ces barbares.
Enfin, l’analyse idéologique de la mythologie de ces géants de la technologie nous fait remonter aux éternels hippies, et aux libertariens qui, sous prétexte de liberté, de choix et de soi-disant partage d’informations, sont devenus les champions de cette dérégulation.
Au nom du respect de la liberté de chacun, la philosophie libertarienne a une fâcheuse tendance à refuser toute intervention de l’État et à foncer sur l’efficacité à court terme : une obsession américaine, la réussite ?
Cette sacro-sainte liberté d’action, d’entreprise montre une fâcheuse tendance à s’appuyer sur l’exploitation de ceux qui sont obligés d’accepter de marcher, même temporairement dans ce système.
Alors oui, je suis en train de faire la morale à Uber, Airbnb, Deliveroo, et à tous les « winners » de ces centrales du service, mais surtout du profit. Pas drôle ? Mais pourquoi faut-il toujours sur-satisfaire le client, et jamais l’employé, celui qui « fait le travail » ?
La révolution de la servitude. Pourquoi l’uberisation est l’ennemie du progrès social. Par Karim Amellal. Éditions Demopolis. 200 pages. 19 euros.
Visuels : (c) Creative Commons / Andrew Caballero-Reynolds / Éditions Demopolis