Quand la musique catalyse l’histoire des sociétés.
Parmi les grandes épopées de l’histoire de la musique, celle de cet instrument, le steel-pan, est proprement incroyable. Un bidon de pétrole, probablement le seul instrument de récupération industrielle qui a traversé les années et les frontières pour devenir une icône de la culture de Trinité-et-Tobago, s’infiltrant jusqu’à la musique électronique contemporaine.
Un pan est fait à partir de fûts en métal de 216 litres utilisés par l’industrie pétrolière pour stocker et transporter de l’essence. Ils sont sectionnés et la face inférieure de ces bidons est emboutie puis martelée pour y réaliser un ensemble de facettes se comportant chacune comme une cloche. Les différentes facettes sont accordées sur une gamme tempérée. Chacun de ces bidons possède toute une gamme sonore et peut produire tout type de musique.
Il s’agit sans doute du dernier instrument non électronique créé par l’homme. Dans cette ancienne colonie de plantation de sucre colonisée l’Angleterre et la France ont fait venir de force des esclaves d’Afrique centrale et de l’Ouest, important leurs traditions musicales du même coup.
Persuadés que les rythmes de batteries et de Kalinda permettaient aux esclaves de communiquer, les colons y étaient opposés. Tous les regroupements de percussions sont interdits en 1883. Sans instruments, les esclaves jouent alors avec des bambous, qui deviennent même des groupes de tambours bambous, et pendant les carnavals, lorsqu’ils croisaient un autre groupe, le but était alors de voir qui jouait le plus fort, et cela aboutissait généralement à des rixes qui menèrent à l’interdiction des Tambours bamboo en 1934.
Vous nous voyez venir ? Qui dit nouvelle interdiction, dit nouvel instrument. C’est la fin des années 30 qui sont considérées comme les années de naissance du Steel Drum. Les premiers groupes se tournent d’abord vers des boîtes à biscuits et des pots de peintures. Les plus défricheurs jouaient alors avec les aspérités du bas des pots de peinture pour variétés les sonorités dans la rythmique. Certains musiciens commencent alors à les customiser, beaucoup donnent à Winston Spree Simon la parenté de ces modulations qui engendrent le premier steel pan mélodique.
Aucun carnaval n’étant organisé pendant la Seconde Guerre mondiale pour des raisons de sécurité mais dans les rues les expérimentations autour du métal se poursuivent. C’est en effet pendant ces années-là que les musiciens ont pu mettre la main sur des barils laissés sur l’île par les troupes américaines, et dont le métal chantait de façon insolente.
Les premiers musiciens à utiliser ces instruments d’un genre nouveau étaient considérés comme des farfelus et en marge ; à nouveau ces groupes de musiciens se livraient à des échanges plus que musclés lorsqu’ils se croisaient. C’est en formant la Trinidad and Tobago Steel Band Association en 1949 que les groupes finissent par se trouver un terrain d’entente et un intérêt commun, et la musique qu’ils jouent finit alors par être reconnue comme une forme artistique. Dès lors, en l’espace d’un demi-siècle, le steel-pan est passé des cours des quartiers pauvres de Trinité-et-Tobago aux salles de concerts les plus prestigieuses, et c’est ainsi qu’en 1991, il est reconnu comme l’instrument national.
Le steel-pan s’est surtout imposé dans la pop musique, aujourd’hui les producteurs électroniques ne jurent que par ce son si particulier, de Clément Bazin à Jamie XX qui en a fait une de ses signatures, de Far Nearer à All Under One Roof Raving, en passant par OBVS. On le retrouve aussi chez Souljah Boy sous forme de sample, ou bien encore chez The Knife ou bien DJ Shadow et
ême plus récemment chez Mura Masa pour ne faire que survoler l’impact colossal qu’à connu cet instrument.
En un siècle, le steel-pan, est passé d’un simple bidon, déchet industriel, à un des instruments les plus en vue des compositeurs. Ce rapport à la réutilisation, à donner une vie musicale à un objet anodin témoigne du fait que cette notion de recyclage peut aussi servir en musique. Tout comme la musique peut se mettre au service du recyclage et du tri, notamment par la compilation Deep Green Sound par EcoDDS qui met en musique cet enjeu majeur.
Visuel : (c) DR