Il y a 10 ans, le premier centre de cultures urbaines de France ouvrait ses portes.
Il s’appelle le Flow et est un hotspot incontestable de la culture hip-hop française.
C’est un haut bâtiment fait de vitres dans lesquelles se reflète un immense mur de graffs robots, et le ciel de Lille. Sous la peinture fraichement bombée, des couches de 10 ans d’histoire. Le mur a fait parler de lui jusqu’au Mexique. Le Flow a vu défiler des spectacles, des répétitions, des releases party et des performances. Il a vu naître des artistes comme la rappeuse Eesah Yasuke, Ben plg, Sto ou encore BEKAR. Tous, toutes y ont trouvé un accompagnement complet et enthousiaste, des heures de studio au sous-sol pour des prix plus que raisonnables, des studios de danse pour répéter, des murs pour graffer. Ici, on rassemble, on travaille et on diffuse tout ce qui fait le hip-hop : danse, graff, rap, DJing… Ces 10 ans d’histoires, ça se fête : le Flow a turn up le quartier lillois des Moulins avec une grande fiesta de 14 h à 3 h du matin. En explorant cette fête, on retrace les dix années d’un centre de culture bouillonnante.
Le son est bon. Le soleil n’est pas encore couché que la foule se masse autour de la scène campée devant le Flow. Breakeur‧euses et DJ se chauffent. Des collégien‧nes répètent « on vient là tous les lundis » annonce fièrement Shaïnez. Certain‧es depuis un an, d’autres depuis plus que ça. Les jeunes connaissent les noms des styles de danses qu’ils apprennent « hip-hop, afro, break, popping, krump »…
Nous sommes rue d’Arras, dans le quartier des Moulins, Ana Hadj-Rabah habite ici : « C’est un quartier hyper vivant, elle sourit. Les gens se connaissent. » La rue, pour elle, représente bien le quartier : « Tu vois, rue d’Arras, t’as la CNT, donc un des plus gros syndicats de Lille, t’as le Flow, et l’Aziza qui est la meilleure boulangerie orientale de tout le pays », en toute objectivité, on imagine.
Pendant que les enfants se régalent dans un atelier peintures en chocolat fondu, que les adultes s’émerveillent devant les bacs à vinyles hip-hop collectors, quand d’autres s’initient au graff sur le rooftop, ou s’essaient au karaoké version rap avec un micro autotuné, le show de break se lance. Du krump agressif, une performance des jeunes collégien‧nes, puis deux équipes qui descendent de scène pour faire un bon vieux contest de break, à l’ancienne. La foule forme un cercle autour des danseur‧euses qui enchainent les vrilles et jouent de l’attitude. Ils ont été conviés par Romuald Brizolier, chorégraphe (et accessoirement champion du monde de Danse Hip Hop à Las Vegas en 2009 avec sa compagnie Arttrack).
« Je fais le tour du monde, mais je ramène tout le monde à Lille«
“J’ai essayé d’appeler un max de personnes qui sont passées de près ou de loin par le Flow” explique le chorégraphe, qui a orchestré le show de ce soir. Des jeunes d’écoles, des anciens, des parents… Souffler la 10e bougie, pour lui, c’est un cap, le signe que le Flow est durable, « bien planté ». Ici, il a développé son tremplin pour les chorégraphes, Hip Hop Game, qui est en ce moment en tournée dans le monde. Chaque année, la finale se joue ici. « Je fais le tour du monde mais je ramène tout le monde à Lille » sourit fièrement Romuald.
Les générations hip-hop se suivent et ne se ressemblent pas
Romuald voit évoluer une jeune génération hip-hop déterminée et à qui le monde de la culture fait enfin de la place. Les tout premiers se sont battus avec rage et étaient vraiment peu considérés, lui, il fait partie de la suivante. « Moi c’était à l’ancienne hein, pose-t-il. Il n’y avait pas de salles, il n’y avait pas d’écoles de danse, il n’y avait pas le Flow, pas Internet, il n’y avait rien. » Il se souvient de ses premiers pas : « On essayait de trouver une petite vidéo de danse dans un film ou dans un clip. Des fois certains partaient en éclaireurs à Paris, ils allaient dans les magasins spécifiques pour trouver des vidéos américaines. Ils ramenaient une VHS qui tournait dans tous les quartiers, parfois elle avait été complètement usée et elle était déjà brouillée au moment ou elle arrivait chez toi. » Il est fier aujourd’hui de voir se développer l’accès à la pratique, « notre région est celle avec le plus de professeurs de danse », il s’exclame.
Eesah Yasuke, rappeuse made in Flow
Pour souffler la bougie, les artistes sur scène étaient aussi de la maison. C’est le cas d’Eesah Yasuke, que vous avez pu croiser à notre soirée 40 ans de Rap au centre culturel La Place de Paris. Eesah est rappeuse, l’artiste vient de Roubaix et a fait ses armes au Flow. C’est là qu’elle a rencontré Dj Asfalte et le danseur Petit Ecume qui l’accompagnent en live. « Mon premier concert c’était ici. Ils m’ont très tôt accompagnée dans des résidence ‘live’ pour que je m’entraîne à la scène. J’y fais encore mes répétitions aujourd’hui, ils sont là tout le temps. » Elle remporte son premier gros tremplin à la maison donc, en gagnant l’édition 2021 de Buzz Booster. L’année suivante, elle triomphera du prix Inouïs du Printemps de Bourges. L’artiste a, depuis, sorti plusieurs titres, et prépare la venue d’un album.
Le MC le plus stylé : Malik Moujouil fier du Flow, fier du Nord
La soirée de concerts et DJ set assuré par DJ Sims et May Din, a été lancée avec de gigantesques canons à confettis envolés sur le trottoir, un beau décompte et une pièce montée. « Sortez les couteaux, et ramenez le gateau, la pièce montée, on va la démonter », la foule chante joyeusement, sous les cris du MC. MC qui manie le couteau d’une main de maître : il s’appelle Malik Moujouil et vous l’avez peut-être déjà vu puisqu’il n’est autre que le MC qui a officié aux épreuves de breaking des Jeux Olympiques de Paris. « Ça fait 30 ans que je fais ça, que j’anime des battles. Quand tu arrives aux Jeux Olympiques, c’est comme dans un jeu vidéo : quand t’as tué le boss de fin, tu fais quoi après ? » La passion le guide toujours : « Que ce soit au micro ou aux platines, je donnerai toujours la force à cette culture qui m’a un peu sauvé la vie. »
Fierté
Malik Moujouil est fier de voir le premier centre culturel hip-hop français en place : « On voit revenir des artistes à qui on a donné de la force à un moment ou a un autre de leur carrière comme Eesah Yasuke, Sto ou BEKAR qui sont venus jouer ce soir… on a aussi eu un message de Ben plg qu’on a accompagné, et la nouvelle génération comme Jaymee« . Il tient à élargir les frontières du bastion hip-hop nordiste, « on parle de la Métropole, et même de l’Eurorégion : on n’est qu’à 20mn de la frontière belge. Le creuset de la danse notamment, c’est vraiment Roubaix, mais Lille a toujours été de la partie. On a des danseurs titrés, des artistes chevronnés. »
Fêter les 10 ans, c’est aussi regarder devant. Dans le hall principal où l’on sert les boissons, des écrans, hologrammes, néons et autres installations numériques imaginent le Flow du futur. À ce sujet, Malik Moujouil a une certitude : « Il a dix ans mais il vivra encore 120 ans. Tant qu’on aura un mouvement hip-hop en perpétuelle évolution, avec des styles hyper variés de danses et de musiques, tant qu’il ne se fige pas comme d’autres esthétiques artistiques, le Flow aura raison d’exister, sera complètement pertinent et indispensable pour donner la force aux artistes. » Drop the mic.