La chronique de Jean Rouzaud.
Cupisnique, Moche, Lambayeque, Chimu…Ces noms de tribus bizarres sont en fait les noms des civilisations fondatrices de cette immense bande côtière qui va du Chili à l’Équateur et fut le Pérou ancien, bien avant les Incas.
Ce n’est que depuis une trentaine d’années que l’on découvre ces immenses monticules dans les vallées côtières du Nord Pérou, et qui sont en fait des bâtiments en briques de terre ensablés.
Couche après couche, ces tumuli ont révélé des étages de dynasties superposées et des trésors de poteries, momies, bijoux, objets, tissus sculptures, ustensiles et accessoires de toutes sortes.
Avant les Inca, 2 500 ans d’histoire
On ne connaissait que les Incas, qui ont à peine duré deux siècles avant que Pissaro ne les massacre (!), mais 2 500 ans d’autres cultures les ont précédé et leur ont servi de socle.
De même on ne connaît que les Aztèques, derniers arrivés au Mexique, et s’appuyant sur les peuples mesoaméricains : Olmèques, Mixtèques, Chichimèques, Tlaxcaltèques, Totonaques, Otomis, Zapothèques…
Ce sont les Mochicas ou Moche qui ont posé les bases d’une culture andine, véritable toile de fond d’une civilisation et d’un pouvoir central.
1 000 ans avant notre ère, la civilisation Cupisnique révèle des céramiques, puis ce sera les Moche jusqu’en 600 après J-C et plus, enfin les époques Lambayeque jusqu’en l’an 1000, puis les Chimu jusqu’aux Incas vers 1500.
L’organisation de ces peuples raconte toute l’histoire andine la plus riche, pourtant située sur une bande de terre étroite et déserte ! Mais ces pré incas on une influence majeure pour la suite.
Système hydraulique (comme les Étrusques, romains…) pour irriguer les vallées et planter, et une faune marine abondante pour se nourrir, ces tribus sont aussi douées que les civilisations phares de Mésopotamie, Egypte, Chine ou Inde, avec le même sens du sacré et du pouvoir. Nous devons aux précolombiens tous nos légumes ! Courges, haricots, maïs, avocats, pommes de terre, et des quantités d’améliorations génétiques pour des centaines de variétés : ce sont des jardiniers magiciens, capables cultiver en terrasse jusqu’à des hauteurs uniques.
Mais ce qui frappe dans leur art de vivre, ce sont leurs céramiques magnifiques, si imaginatives et réussies, sur lesquelles des motifs décoratifs révèlent un goût très sûr, mais surtout une présence de la faune animale ultra-variée et infinie.
Dépassant des poteries en entier – ou en bas-reliefs qui se terminent en dessin peint – Jaguar, singes, chiens, oiseaux, reptiles, crustacés, mais aussi les oiseaux marins, et des cervidés, ours, pumas, rongeurs, ocelots…D’une observation parfaite, domestiqués ou pas.
Sur tous les plats, bouteilles, pots, vases… D’admirables animaux, parfois à tête d’homme ou l’inverse, modelés avec une réussite constante, se prolongeant par la peinture sur l’objet même…
Ils représentent des qualités, des dons, des pouvoirs… Et on retrouve les sorciers, chamanes et toute la croyance des peuples d’Amérique pour ces totems, animaux cultes, symboles de force ou de protection.
Des maquettes de bâtiments, des bijoux et instruments montrent le raffinement de ces peuples anciens et ignorés jusqu’à récemment.
Mention spéciale pour ce Pérou oublié, les animaux marins : baleines, phoques, requins, dauphins, crustacés, mollusques, prouvant l’étendue des communautés de pêcheurs.
Peuples exemplaires
Animal, végétal, humain, les trois mondes sont reliés par une cosmogonie forte et une sorte de respect naturel, une admiration réelle de l’homme pour la nature, mère éternelle, remplie de créatures magiques.
Ces animaux sont les messagers, alliés, sauveurs… Reliés à des planètes, à des combats mythiques, tout en restant des êtres beaux, souples et évocateurs, des chefs-d’œuvre d’Art plastique.
Le monde moderne doit absolument voir et apprendre de ces peuples exemplaires qui n’ont jamais rien détruit, et toujours embelli et amélioré, en domestiquant avec génie les régions les plus inhospitalières ! Oubliez l’Eldorado des conquistadores flingueurs et voleurs, et contemplez le vrai trésor précolombien : les peuples et leur génie ! Ils ont encore beaucoup à nous apprendre.
Le Pérou avant les Incas. Musée du Quai Branly. Du 14 décembre 2017 au 1er avril 2018 (plus de 280 objets exposés. Pour ceux qui sont loin, un catalogue de 224 pages, 180 illustrations. coédition Flammarion Branly. 42 euros).
Visuels : © musée du quai Branly – Jacques Chirac