Au commencement, d’après un bouquin qui a connu son petit succès, la Terre n’était que chaos et vide. Et puis, de fil en aiguille, sont apparus une palanquée de créatures disparates pour peupler tout ça. Et pour apparaître au cinéma, aussi. Des chats, des chiens, des oiseaux, des loups, des cochons, des singes, des lions, des souris, des vaches, des crocodiles, des insectes, des éléphants, des chevaux, des poissons, des ours, des tortues, animaux vivants, morts, sympathiques, menaçants, sauvages, domestiques, filmés de près ou observés de loin, chimériques ou familiers, réels, dessinés, en pâte à modeler, en 3D, bavards, mutiques, mignons, affreux – bref, une sacré ménagerie.
C’est à celle-ci que Blonde Venus dédie la thématique de quelques printanières soirées films et casse-croûtes, marquant l’ouverture de son ciné-club maison (un euro l’adhésion, prix imbattable). Ici, c’est marqué dessus façon « cave canem », « Les animaux ne sont pas sympas » : le nom de ce cycle de projections, de cette trilogie du mercredi soir (le dernier mercredi de février, mars et avril, pour être exact) programmée en accord avec Interfilm Ciné Club ; une hydre à trois têtes dont on va détailler le pedigree.
On commence, le mercredi 29 mars, avec un film qui a du chien. Un bull terrier exactement, animal au poil ras et au faciès ovoïde, plutôt étrange. Une étrangeté qui comme un gant à Baxter, film réalisé en 1989 par Jérôme Boivin (avec Jacques Audiard aux dialogues et au scénario, adapté d’un roman Série Noire de Ken Greenhall), qui ne se prive pas de pousser tous les potards du bizarre.
« Méfiez-vous du chien qui pense … » prévient-il. Car, oui, dans cette variation canine, et fantastiquement freaky, d’Au Hasard Balthazar de Bresson, le cogito cartésien n’est pas l’apanage des humains. Ses pensées étalées en voix-off, le chien Baxter s’interroge, perplexe ; il voit (en observateur, en voyeur aussi) avant bientôt d’agir, humeur mauvaise et meurtres osés. Contempteur sévère de la médiocrité de ses maîtres, des responsables de sa « vie de chien », il finit par s’enticher d’un gamin rêvant plus volontiers d’un uniforme des Hitlerjugend que d’un maillot d’Enzo Scifo.
Un conte moral, féroce, un bal des affreux tantôt drôle, tantôt dérangeant, dont le narrateur à quatre pattes rappelle quelle est la source étymologique du mot « cynique ». Un film inoubliable et mal élevé, tout en mordant, que Blonde Venus accompagnera dans votre gamelle, pour faire bon ménage, d’un hotdog-frites qui ne laissera, là non plus, personne sur sa faim.
Pour poursuivre ce triptyque, le 26 avril, Blonde Venus a tiré de ses armoires une oeuvre de David Cronenberg, le cinéaste canadien très branché body horror. L’auteur de La Mouche, lancinante référence pour les passionné.e.s de cinéma fantastique, les lecteur.rice.s de Starfix, les rat.e.s de vidéoclubs. Le récit d’une expérience qui échappe à son initiateur, au plan, au protocole, antithèse absolue de celle d’un Hulk ; le récit, surtout, d’une lente déshumanisation, d’un suintant délabrement physique et psychologique – la métamorphose à la Kafka de Jeff Goldblum pouvant être lue comme la métaphore d’une relation de couple qui s’étiole et s’envenime. Certain.e.s l’ont aussi vu, à sa sortie en 1986, comme une analogie du sida, hypothèse recevable (mais réfutée par Cronenberg).
Le topo, en deux lignes ? Après avoir tenté de se téléporter lui-même, un biologiste fusionne accidentellement sa génétique avec une mouche passé dans le second sas pile au mauvais moment. Une transformation horrifique, dont la lenteur, l’inexorable progressivité, de Sean Brundle à Brundle-Fly, renforce le caractère tragique, fatal, poignant. Un drame impressionnant, un thriller fantastique en quasi huis-clos, un remake (de la Mouche Noire de Kurt Neumann) avec une patte 80s indéniable, que Blonde Venus agrémentera d’une surprise extirpée de son garde-manger. Que trouvera-t-on sous la cloche ? Un gâteau de mouches inspiré de la cuisine tanzanienne ? D’autres insectes, grillons, criquets, tarentules ? Les camarades bacalanais.es gardent encore le mystère à ce sujet.
On finit avec du lourd, le mercredi 31 mai. Avec l’un des tous premiers blockbusters estivaux du cinéma américain, entré illico dans la mémoire collective, référence universelle de la culture pop. Si j’évoque une station balnéaire de la Côte Est, un aileron affleurant à la surface de l’eau où s’ébattent les baigneurs, le thème angoissant de John Williams (qui servira plus tard, malaxé, trituré, de générique au JT de TF1) … Vous me répondrez bien sûr Les Dents de la Mer – ou Jaws si vous êtes un puriste de la VO.
Réalisé par Spielberg en 1975, le long-métrage a traumatisé toute une génération de spectateur.rice.s, accolant à son aquatique antagoniste la peu flatteuse réputation de prédateur insatiable, à tel point qu’on attribue au film une large part de responsabilité dans le déclin consécutif des populations de requins – constat déploré par Spielberg et le scénariste Peter Benchley eux-mêmes. Fort heureusement, ce n’est pas du requin qui vous sera servi en guise de dîner pour accompagner le (re)visionnage de ce classique, mais un fish and chips qui rappelle, avec un savoureux à-propos, qu’Amity Island (la bourgade fictive où se déroule le film) se trouve bien en Nouvelle-Angleterre.
La Radio Nova Bordeaux vous offre des entrées pour ces animalières soirées dîners-projections à Blonde Venus, avec l’adhésion au ciné-club en bonus dans le paquet-cadeau. Des places à glaner ci-dessous, pour qui saura renseigner le bon mot de passe Nova Aime.