On a posé quelques questions au selecta du parti.
Alors que la France Insoumise appelait ce mardi les jeunes à rejoindre la manifestation des fonctionnaires pour contester la politique d’Emmanuel Macron, on s’est demandé comment se préparait l’habillage musical d’un tel évènement. Notamment celui des manifestations orchestrées par Jean-Luc Mélenchon. Du coup on a interviewé le selecta du parti, Romain Jammes. Et puis on lui a demandé la playlist officielle de la France Insoumise.
En 2011, Romain Jammes assure quelques concerts pour le Parti de Gauche, avec un concept musical, « L’Art Mais Rouge ». « On récupérait des musiciens, on travaillait quelques morceaux, et on allait sur les marchés. » En 2012, il anime ses premiers cortèges lors des manifestations pour la révolution fiscale, suite à l’affaire Cahuzac. « Pour la première fois, on avait à peu près carte blanche pour le cortège. À ce moment-là, j’ai passé que des musiques que j’adorais, ça a surpris pas mal de monde, il y a plein de choses qui n’étaient pas habituelles dans les cortèges politiques et ça a réuni beaucoup de gens derrière notre cortège. »
Aujourd’hui, c’est Romain Jammes qui assure la programmation musicale sur la plupart des rassemblements de la France Insoumise. Lui-même ne se dit pas DJ – il monte actuellement un café culturel à Toulouse -mais il reconnaît l’importance de son travail sur place. Il faut savoir quel morceau passer au bon moment, laisser la place aux slogans, « c’est du feeling ». On a posé quelques questions au maître de la playlist FI :
Comment prépare-t-on une playlist pour une manifestation ?
C’est extrêmement lié à la question de l’identité politique un peu nouvelle de la France Insoumise. L’idée générale, c’est qu’on voulait créer une nouvelle culture, pas reprendre de but en blanc tout simplement la culture militante. Que ce soit dans les mots qu’on utilise ou dans les musiques qu’on utilise. En général, il faut trouver de quoi satisfaire un peu tout le monde.
Par exemple ?
On va avoir une ou deux chansons des Motivés. HK et Les Saltimbanks aussi. On a quelques références assez fédératrices qui rappellent ce milieu militant. Et en même temps, on rajoute d’autres choses. Des éléments fédérateurs qui parlent à des gens qui ne font pas partie du milieu militant, qui vont élargir l’audience.
Comment vous imaginez les playlists ? Est-ce qu’il y a une évolution ?
Il n’y a pas d’évolution dans le set. Souvent, c’est un peu à l’appréciation de celui qui anime le char. Il peut alterner entre des slogans, des chansons, et parfois il y a des demandes aussi des gens qui sont là, qui veulent tel type de chanson. Et quand une chanson marche bien, on va pousser dans le même style.
Et vous, votre morceau préféré à passer dans la playlist, c’est quoi ?
C’est marrant parce que c’est pas forcément les morceaux les plus politiques. Il y a « Happy » de C2C et l’autre un peu plus politique c’est « 49/3 » de L’1consolable.
Vous passez beaucoup de morceaux politiques, c’est important qu’il y ait un certain quota de morceaux engageants ?
Oui, c’est bien parce qu’en général les morceaux engagés ont plus de notoriété. Les gens réagissant davantage. Après si vous prenez « Think » d’Aretha Franklin, tout le monde se reconnaît dedans, c’est aussi fédérateur. Dans l’idéal, il faudrait qu’il y ait une proportion quasi exclusive de morceaux un peu engagés, qui donnent écho à ce qu’on raconte.
Ces playlists doivent durer combien de temps ?
Il y a un minimum parce que les manifestations peuvent durer 3, 4 heures. J’essaie en général d’avoir au moins 2 heures. Il y a des morceaux qui peuvent repasser. C’est pas comme animer une soirée, ou quelque chose de plus officiel. Et puis comme c’est alterné avec des slogans…
Est-ce qu’il y a un genre musical interdit dans les manifs de la France Insoumise ?
On va pas mettre de métal, de musique classique – pas parce qu’on aime pas, moi j’adore les deux – mais parce qu’il faut un peu de dynamisme, il faut des choses accessibles pour tout le monde. Je vais pas passer de free jazz, que seuls les musiciens comprendront.
C’est quoi le tube de la manif ?
Le tube de la manif… il y en a un qui marche à 100% à chaque fois c’est « Merci Patron », tout le monde l’a dans la tête. Elle se transforme parfois dans les slogans en « Merci Macron » (rires). L’autre c’est « Tomber la chemise », parce qu’on a repris le refrain pour dire « On est la France Insoumise ».
Est-ce qu’il vous arrive de prendre des risques ?
Cette année pas vraiment. À force je sais ce qui va marcher. Ce qu’il faut, c’est les passer au bon moment par contre. C’est du feeling, vous sentez si les gens ont plutôt envie de danser ou de reprendre un refrain. Par exemple, dans la playlist j’ai « Sing Sing Sing » de Benny Goodman, c’est uniquement pour danser. Si je remarque qu’il y a une envie de danser, on met ça.
Ça doit être un job à plein temps une fois sur les manifs…
Quand on anime un cortège c’est toujours très riche. Il y a plusieurs choses à gérer, l’alternance entre slogans et chansons. Il faut toujours animer, il faut danser . À la fin des manifs on est rincé en général (rires).
Jean-Luc Mélenchon vous a déjà demandé de mettre une musique en particulier ?
Non, il est pire que ça. (rires) Il m’a demandé de trouver un hymne pour le début de la campagne. C’est pas facile. Par exemple en 2012, il y a eu « On lâche rien », c’est l’hymne naturel qui s’est imposé. Retrouver quelque chose c’est pas évident. En fait, mine de rien, « Tomber la chemise » est devenu l’hymne assez naturellement.
Est-ce qu’il y a un morceau que vous auriez toujours aimé mettre dans la playlist mais que vous avez jamais osé mettre ?
Non je crois pas. Tout ce que je veux mettre, je le mets. La playlist me ressemble vachement.
La musique a quelle importance dans les manifestations ?
C’est quasiment aussi important que les slogans. Ça donne l’ambiance. Quand je passe derrière certains cortèges, les slogans sont morbides, faux, je le reproche pas aux gens, les gens savent pas forcément chanter. Mais ça donne pas envie. Donc la musique est là pour donner envie. Peut-être qu’on est là pour contester quelque chose qui se passe, pour réclamer, pour revendiquer une idée belle comme celle de la VIème république, mais il faut aussi qu’on fasse dans la joie et dans le dynamisme. Si on mettait que des chansons chiantes, il y aurait beaucoup moins de monde en manifestations. (rires). Du moins ils s’amuseraient moins.
Visuel : © Thierry Monasse / Contributeur