La comtesse Greffulhe, héroïne du « Temps perdu ».
Le Palais Galliera montre pour la première fois une partie de la garde-robe de la comtesse de Greffulhe, qui servit de modèle à Marcel Proust pour la Duchesse de Guermantes dans « A la recherche du Temps perdu » son célèbre roman. Mais que peuvent nous dire ces parures somptueuses, en dehors de la qualité du travail des maisons de coutures et objets les plus prestigieuses d’alors, comme WORTH, FORTUNY, BABANI ou LANVIN ?
On évalue déjà la richesse et le mode de vie de cette égérie, née Elisabeth de Caraman-Chimay, car non seulement Proust ne tarit pas d’éloges sur cette apparition et son luxe, mais son oncle, le dandy Robert de Montesquiou ( qui a aussi inspiré le baron Charlus dans le livre) en rajoute sur son élégance inimitable.
Lorsque les marques lui présentaient toutes sortes de modèles, elle finissait par répondre dégoutée : « faites autre chose, mais pas ça ! » . Son degré de naissance, de fortune, d’ancêtres et de relations était tel, qu’elle s’imposait un protocole de reine, et d’incessants changements de toilette.
De plus elle avait épousé ce vicomte de Greffulhe dont la fortune était colossale. Ils habitaient à Paris, au milieu d’un patrimoine immobilier regroupé et sivaste qu’on appelait cela le VATICAN ! Marcel Proust n’osait même pas lui être présenté… Justement l’auteur , malgré le temps passé, et à l’approche du modernisme en Art, en Jazz, en architecture de verre et d’acier, en automobiles et avions (1910), voulait absolument faire revivre le grand faste suranné des dernières immenses fortunes aristocratiques – les rois et princes de l’époque. Un Fantasme de raffinement.
Penser qu’au début du 20eme siècle, il existait encore des domaines si grands, des chasses, et des nantis servis comme sous Louis XIV est vertigineux. La guerre et la révolution russe allaient littéralement raser ces vestiges du passé, couverts de pierres précieuses, de plumes d’autruches, de perles et de brocards.
Car les milliers d’heures de travail de petites mains dans les ateliers ne suffisaient pas. Les maisons devaient inventer des procédés d’impressions ( Fortuny), des transparences ( mousselines , voiles), des matières ( avec du verre, du métal) , et des accessoires ( plumes, éventails, gants…) pour achever une silhouette.
La comtesse Greffulhe était suffisamment exaltée et hors du monde normal, pour se considérer comme un œuvre d’Art, chantée par écrivains et poètes, photographiée (par Nadar et distribuée au compte goutte), elle mettait en scène ses apparitions comme Sarah Bernard ( star théatrale de l’époque).
Les tenues devaient frapper l’assistance, l’apparition devait être rare et même furtive comme un rêve : tout devait concourir à son prestige, son physique élancé et son regard ferait le reste. Une star trop riche et distinguée pour être actrice !
Ainsi Paris avait donc encore ses maharadjahs, à l’époque de Matisse, Picasso, Mondrian ou Picabia !.. Des seigneurs et des cerfs, pas moins, car les artisans étaient extraordinaires et payés une misère pour leur qualité et leur conscience professionnelle. (Mode, comme graveurs, ferronniers, marquetiers, brodeuses…)
En pleine révolution moderniste, et même si elle mécènait les arts et les techniques ( Pierre et Marie Curie pour l’invention de la radiographie), cette femme voulait « impressionner le monde » , comme si c’était un public, et son mari la surnommait « la Venus du mélo » ! ( de Milo) On a le droit de sourire .
Si elle n’a pas été éternelle comme elle le souhaitait, ses tenues sont en tout cas là pour longtemps et on admire au passage la famille, puis ce musée, pour la garde et la conservation de ce qu’on pourrait appeler les « armures d’une excentrique »,( pour les batailles de mondanité), exigeante jusqu’à une certaine indécence.
Un hommage aux artisans du peuple et à une qualité rarement atteinte.
La Mode retrouvée . Les robes trésors de la comtesse Greffulhe.
Du 7 novembre au 20 mars 2016 . Musée Galliera ( musée de la mode)
10 avenue Pierre 1er de Serbie.. 6-8 euros . Moins de 18 ans gratuit.