Interdit de salle pendant près de 40 ans pour incitation à la haine raciale, le film « Babylon » vient d’être restauré.
Nous sommes en 1980 à Londres, à Brixton, quartier pauvre du sud de Londres. C’est là que de nombreux jamaïcains se sont installés suite à une vague d’immigration, depuis la décolonisation de l’ile, en 1962. Dans un garage un peu lugubre, une bande de jeunes jamaïcains sortent un 45 tours de sa jaquette. Il vient d’être acheté à un revendeur aux allures de gangster, contre un collier et de la ganja. Une fois la galette posée sur la platine, c’est l’euphorie générale car ce son qu’ils entendent, à cette époque, en Angleterre, il est rare. C’est du reggae, un disque venu tout droit de Jamaïque.
Cette scène, elle est extraite du film Babylon réalisé par Franco Rosso. Une fiction documentaire qui raconte l’arrivée des sound systems reggae en Angleterre, un témoignage précis et précieux parce que le film a été tourné en 1980. A sa sortie, il est interdit aux Etats-Unis et censuré en Angleterre pendant près de 40 ans, jugé incitant à la haine raciale.
« Babylon » montre la violence du quotidien des afro-caribéens londoniens
Dans le film, la scène qui suit celle de l’écoute religieuse du fameux 45 tours montre une voisine blanche, raciste, qui demande à ce que la musique s’arrête, traitant de « vermine puante » les jeunes jamaïcains. Elle lance : « Rentrez dans votre pays, bande de macaques ». « C’est mon pays, madame », répond l’un des personnages.
Babylon montre la violence du quotidien des Afro-caribéens londoniens, alors que Margaret Thatcher vient d’être élue Premier ministre du Royaume-Uni (en 1979), et qu’elle s’apprête à mener jusqu’à la fin de sa mandature en 1990 une politique particulièrement dure, notamment, à l’égard des populations issues de l’immigration.
Cette violence, il est nécessaire de la voir pour comprendre le rôle joué par la musique reggae à l’époque, l’exutoire d’une jeunesse qui pensait faire fortune en Angleterre.
La désillusion de ces jeunes, elle est incarnée par l’acteur Brinsley Forde, Blue dans le film. Un mécano qui se défoule au micro. Lui vit pour une battle de sound systems, qui oppose son crew, Ital Lion, à son principal rival, le pionnier de la scène reggae en Angleterre, dans le film comme dans la vraie vie, Jah Shaka.
Au milieu des années 70, c’est le punk qui a le droit aux gros titres des médias britanniques avec des groupes comme le Clash ou encore les Slits. Le reggae est moins plébiscité mais commence lui aussi a pénétré les charts, grâce à des artistes comme Max Romeo ou encore Lee Perry. Alors qu’à la fin des années 70 les voix s’élèvent contre le racisme en Angleterre, le reggae joue un rôle important dans cette prise de conscience. Les sound systems s’adressent directement aux gens. La scène reggae est notamment crédibilisée par le succès (mondial) de Bob Marley, et les groupes de rock et de punk finissent par incorporer des sonorités reggae dans leur musique — c’est le cas de Police par exemple — ce qui contribue à atténuer la défiance vis-à-vis de cette scène dans les années 80.
Dans Babylon, on assiste au premier acte de cette révolution qui se joue à la fois sur le plan musical et sur le plan politique, celle de la rencontre entre le reggae et le rock anglais, qui finiront par fusionner dans certains cas.
Le film Babylon sort en salles, en France, mercredi 14 octobre.
Visuel © Babylon