Au micro de Bintou Simporé l’artiste parle de son pays, de son amitié avec Damon Albarn et de son dernier album « Lindé ».
Le téléphone sonne, quelques grésillements sur la ligne ouvrent cette conversation. Normal, Afel Bocoum est à Bamako dans les rues du quartier de Kabala, loin des bureaux de Nova.
L’ambiance là-bas est morose, le pays à l’arrêt et Afel Bocoum au chômage technique, comme les autres musiciens maliens, faute de lieu où se produire. Pourtant l’heure n’est pas à l’inaction, et Afel Bochum, fils de la ville de Niafunké, le prouve avec Lindé, un album qui parle d’un Mali presque K.O, mais toujours indivisible. « La politique a divisé le pays, les guerres ont divisé le pays alors que nous on est un et indivisible. »
Soixante-cinq ans ont défilé devant les yeux du musicien, largement le temps d’affiner le blues du désert qu’il prodigue, le temps aussi de comprendre les maux qui gangrènent son pays. La corruption et le népotisme d’une part ; « S’ils veulent développer un pays il faut laisser choisir librement les gens selon un programme. Il ne faut jamais suivre quelqu’un parce qu’il a de l’argent. Ou bien quand il est le fils d’untel ou d’une autorité. C’est des conseils aux jeunes. » ; l ‘occupation du Nord par les Jihadistes de l’autre « on peut penser que Kidal était une partie du Mali, mais on se rend compte que Kidal ne fait plus partie du Mali, (…), c’est devenu des espaces réservés ». S’il est critique de sa patrie, il ne la renie pas pour autant, et écarte en rigolant l’idée de la quitter pour venir s’installer en Europe, trop compliqué.
J’ai toujours rêvé d’avoir des cuivres dans ma musique.
Lindé n’est pas seulement un album qui aborde des sujets sociaux variés, c’est aussi la marque d’une évolution chez l’artiste. S’entourer de nouveaux partenaires a permis à Afel Bocoum d’innover, tant dans les instruments utilisés que dans la musicalité. « Les innovations, ce sont les cuivres. J’ai toujours rêvé d’avoir des cuivres dans ma musique. (…), j’ai essayé ici avec des orchestres de Bamako comme le Super Biton, malheureusement ils se sont cassés la gueule. Ils ont de la guitare, ils ont des voix, ils ont des percussions, mais ils n’ont pas de cuivre. (…) ».
Tant d’innovations qui permettent à l’enfant du fleuve Niger de voguer sur des courants encore inexplorés, accompagné parfois du trombone de Vin Gordon, pilier du reggae jamaïcain, des percussions du regretté Tony Allen, ou encore de la voix d’Alpha Ousmane « Hama » Sankaré, décédé dans un attentat au Mali en mars dernier. En plus de totems bien installés ce sont des jeunes qui ont oeuvré sur le projet : « Ils ont proposé des trucs, ils ont virés ça au reggae…, ils m’ont aidé, ont participé activement à la création de l’album, je les en remercie. »
Si ces rencontres ont été possibles c’est sans nul doute le fait de Nick Gold, fondateur du label World Circuit, mais aussi de Damon Albarn (Blur, Africa Express, Gorillaz), qui travaille avec Afel Bochum depuis bientôt 2 décennies. Une collaboration née presque par hasard, alors que le musicien était de passage au studio Bogolan de Bamako « Je suis tombé sur un homme (ndlr.Damon Albarn) comme ça (…), il était venu pour voir s’il y a avait des musiciens capables de composer ou de chanter sur des musiques qu’il avait composées (…) j’ai chanté sur deux titres de l’album, dès lors il m’a invité plusieurs fois en Angleterre. » C’était en 2001, à l’époque de l’album « Mali Music » qui révéla Afel Bocoum au reste du monde.
On attend des jours meilleurs
Dix-neuf ans plus tard la connexion Bamako-Londres existe toujours, même s’il faudra du temps avant que l’artiste revienne jouer devant le public britannique « On attend des jours meilleurs, d’avoir une tournée de retrouver le public (…) on est en panne technique ». En attendant, on est prêt pour le décollage avec « Avion », premier single de son album et en playlist sur Nova.
Les mots d’Afel Bocoum sont extraits d’un entretien téléphonique à retrouver dans Néo Géo Nova.
Visuel © Christien Jaspars