Chaque jour, Nova met un coup de projecteur sur une nouveauté. Aujourd’hui : « Comerte Entera » de C. Tangana.
Si le musicien est encore peu connu en France, les chiffres ne trompent pas: avec plus de cinq millions de stream dans les 24 heures qui ont suivi sa sortie, El Madrileño est devenu l’album espagnol ayant fait le meilleur démarrage de l’histoire de Spotify, s’imposant direct au sommet des charts du pays. Les grands médias nationaux, El Pais en tête, n’hésitent pas à le qualifier déjà d’« album de l’année ». Et même si on a tendance à se méfier des emballements, il faut avouer que celui-ci mérite qu’on s’y attarde.
Pour comprendre le phénomène, quelques éclaircissements. C. Tangana, c’est Antón Álvarez, passé par plusieurs pseudos et formations de rap avant de percer en solo (le « C. » vient de « Crema », l’un de ses surnoms). Son identité est fièrement madrilène; sa musique, elle, est pan-hispanique, brassant sans gêne toutes les traditions musicales latines d’hier comme aujourd’hui, le tout dans une esthétique purement contemporaine. Flamenco, bossa nova, reggaeton, bachata et autres se retrouvent passés sous le filtre de la pop actuelle, cette même pop qui mêle rap autotuné et R&B velouté — celle aussi de Rosalía, sa compatriote (et ex-copine, précisons), dans le prolongement de laquelle C. Tangana vient inévitablement élargir la portée de ce renouveau espagnol.
Parlons des invités du disque, aussi, puisqu’il y en a beaucoup, quasiment autant que de morceaux. Ils en disent long sur l’ambition et la démesure de l’artiste: qui d’autre que C. Tangana a pu jusqu’ici inviter sur un même album à la fois autant de grands pontes des musiques latines et d’étoiles montantes de la pop hispanophone mondiale? L’immense José Feliciano, le vétéran cubain Eliades Ochoa, la star uruguayenne Jorge Drexler, le rockeur argentin Andrés Calamaro, et même, oui, même les Gipsy Kings; tous ces vétérans se frottent ici à la jeune génération hispanophone des deux côtés de l’Atlantique.
Comme chez Rosalía, on peut passer ici sans gêne du flamenco le plus classique à la pop la plus décomplexée. Avec une vision si large, il y en a forcément pour tous les goûts, et on ne sera pas sensible à tout. Mais force est d’admirer le talent de chef d’orchestre de l’étonnant C. Tangana, dont l’étiquette de rappeur paraît ici injustement réductrice, tant tous les styles semblent lui seoir. Avec un thème central toutefois: les femmes, quasiment absentes de la liste des invités mais omniprésentes dans les textes. L’ombre de Rosalía aussi peut-être, que les fans viennent chercher dans les moindres paroles… Paroles qui mêlent la tendresse (comme sur « Te Olvidaste », son très joli duo avec le chanteur mexicain Omar Apollo) aux propos les plus crus. En témoigne le beau « Comerte Entera » [« te manger tout entière »], avec le guitariste brésilien Toquinho: une ballade urbaine entre bossa et baile funk, expression d’une passion dévorante à l’érotisme destructeur.