Ce film a été presque privé de distribution. La raison ? Les salles disent avoir peur.
Davantage que la Palme d’or d’Audiard, il est un film dont les médias parlent beaucoup depuis quelques jours. Un Français, c’est son nom, est un long-métrage devenu le symbole d’un climat politique et culturel dont on devine, grâce au débat engendré, la véritable complexité.
On suit le parcours de Marco, un jeune produit des cités des années 80, qui tue le temps aux côtés des bandes de Boneheads, Doc aux pieds, Teddy sur le dos et crâne rasé, en imposant à grands coups de barre à mine leur vision de la France.
On découvre alors un sujet encore peu abordé par la littérature ou le cinéma : la violence confuse et affreusement banale de ces bandes de jeunes animés par le fantasme d’une France blanche, les rivalités avec les Redskins et tout ce qui entoure cette contre-culture underground fascisante et raciste des années 80. Mais le film s’intéresse surtout à la repentance d’un de ces voyous (servi par un excellent Alban Lenoir) si tant est qu’elle est possible, et sur la place qu’il reste pour racheter ses erreurs. La société, l’ignorance, l’éloignement des proches sont autant d’obstacles qui font de ce parcours celui d’un combattant, et qui permettent au film d’envisager avec nuances les errances de ces néo-nazis. Car si certains décident finalement de quitter les rangs pour aborder la réalité autrement, d’autres vont choisir de pérenniser leur idée de la France et leur combat en intégrant les partis d’extrême-droite.
Et ce film, que beaucoup qualifient déjà d’American History X à la Française, ne cède pas à la tentation de stigmatiser ou de condamner cette jeunesse là, laissant entendre que la violence et la misère sont dans tous les camps.
Pourtant, cette subtilité là semble échapper à une partie du public qui s’est organisée pour attaquer a priori Un Français (le film sortira le 10 juin) – insultant, par principe donc, ses parti-pris ou son biais à travers tous les réseaux possibles. On notera l’ironie. Et cette volonté d’empêcher la diffusion naturelle du film semble avoir fonctionné, puisque le réalisateur a annoncé hier que toutes les avant-premières « avaient été annulées » et que la moitié des salles avait finalement décidé de ne pas projeter le film.
La raison ? Les exploitants auraient évoqué leur peur. Au vu des plus grands succès de l’année et de leur distribution massive, on pouvait imaginer que les raisons de ce refus n’étaient pas intellectuelles, mais cette soumission face à la panique a tout de même de quoi surprendre.
Evidemment, on peut s’interroger sur les pressions imposées pour pousser tant d’exploitants à cette forme de censure. Mais on peut aussi constater plus simplement l’état délétère de la pensée en France et l’importance de la violence et de la radicalité dans tous les débats et à tous les niveaux. Certains se permettent de confisquer le débat, et l’on constate que c’est cette même violence qui animait les voyous des années 80 qui s’est propagée dans les méandres d’internet.
Finalement, la stratégie de la peur aura eu le mérite de donner au film une audience inattendue, qui, on l’espère, nous permettra peut-être d’envisager notre passé avec une plus grande honnêteté et de se prémunir face aux perspectives d’un futur aussi sombre.
Un Français de Diastème, au cinéma le 10 juin 2015.
NB : dans un communiqué, MARS (le distributeur principal) a tenu à nuancer les propos du réalisateur, refusant d’utiliser les termes de censure et en tentant de résumer une situation un peu plus complexe.