On en parle avec Cédric Anger, le réalisateur du film.
Dans son nouveau long-métrage, le Français Cédric Anger explore le milieu du porno parisien des années 80. Et ce Pigalle filmé la nuit, le réalisateur a pris le parti de l’illustrer avec une bande-son qui pioche autant dans la pop kitschouille que dans la funk cool, la variété ringarde ou le rock rétro. Cette bande-son, et à l’occasion de la sortie de L’Amour est une Fête (en salles ce mercredi 19 septembre), le réalisateur la commente, pour Nova.
L’une des grandes richesses, musicales notamment, du film, c’est qu’il épouse clairement plusieurs genres…
Cédric Anger : Il y a clairement deux parties dans L’Amour est une fête. La première est urbaine, nocturne et électrique. La seconde solaire, dans la nature et avec un score à base de cordes et d’instruments plus classiques. Pour la première partie je voulais des titres qui n’excèdent pas 1982, année où se déroule le film, et qui reflètent les différents tons du film. C’est ainsi qu’on passe d’un rock des années 70 type Slade à un tube typique du début des années 80 comme « Japanese Boy » d’Aneka. Il y a aussi du rock post-punk (The Jam, The Buggles), de la chanson italienne, des titres genre variétés. Mais je ne voulais pas que des standards déjà entendus maintes et maintes fois dans d’autres films et un des grands plaisirs de cette bande originale a consisté à dénicher des petites perles françaises oubliées, comme les titres d’Alain Kan, de New Paradise, de Sonia ou Jennifer. Je crois que la BO reflète la variété de ton du film, son côté joyeux et ne se prenant pas trop au sérieux.
Y a-t-il des morceaux que tu regrettes de ne pas avoir pu mettre dans L’Amour est une fête ?
Cédric Anger : J’écris en musique, ça me permet de trouver le rythme, le ton, l’esprit d’une époque, des plans même parfois. Il y a des séquences comme celle de la casse du Mirodrome qui a été découpée en fonction de la chanson d’Ornella Vanoni. Donc j’ai surtout insisté pour avoir les titres indispensables au film et essayé ensuite les autres pour voir ceux qui marchaient le mieux et étaient les plus abordables économiquement. Certains comme les titres de Moroder, « Don’t stop Believin’ » de Journey ou « Africa » de Toto étaient hors budget pour nous. Les droits musicaux, c’est un peu la jungle. Vous pouvez très bien trouver un tube à prix raisonnable, et un titre oublié pour qui l’ayant-droit demande une fortune. Par exemple « Aimer d’amour » de Boule Noire était très cher. Mais je ne le regrette pas, la chanson est déjà dans « Le Monde est à toi » sorti un mois avant nous. Il y a aussi d’autres cas, quelqu’un comme Kate Bush par exemple refuse de céder ses droits pour un film. De mon côté j’oublie assez vite ce que je ne peux pas m’offrir. Je me dis toujours qu’il faut faire confiance à ce qui arrive et que si un titre est inabordable c’est qu’il ne doit pas être dans le film.
La musique italienne est très présente dans les morceaux qui t’ont inspiré, et notamment l’Italie des années 70-80…
Cédric Anger : On peut même remonter jusqu’aux années 60 pour certains titres de la playlist. J’adore la chanson italienne, qu’elle soit yéyé ou rock comme Adriano Celentano. Il y a chez les italiens en même temps de la joie, l’énergie triviale de la vie et son revers l’émotion, la mélancolie. Quelque chose de solaire et d’élégiaque. Et puis le film fait référence à un âge d’or, celui du cinéma porno français, qui a aussi coïncidé avec l’âge d’or du cinéma italien qui n’hésitait pas lui non plus à mélanger les genres, les tons, où on passait de la comédie pure à quelque chose de pathétique, du rire au mélodrame. Un cinéma humain et en Cinémascope comme les films de Risi, Comencini, qui n’avait pas peur de se frotter au mauvais goût, à la vulgarité, à la trivialité, alors que dans le cinéma français, plus bourgeois, on a un peu le doigt sur la couture. Aujourd’hui encore il y a des groupes italiens que j’aime beaucoup comme Nu Guinea ou Fitness Forever.
L’Amour est une fête rend nostalgique d’une époque où on pouvait faire les choses plus simplement et librement. Si le porno c’était mieux avant, qu’en est-il de la musique ?
Cédric Anger : Le temps de la musique ne peut être comparé à celui du cinéma pornographique en pellicule qui est une parenthèse dans l’histoire. La musique est éternelle et ça n’aurait pas de sens de dire « c’était mieux avant ». Avant quoi ? Avant Gainsbourg ? Avant les Beatles ? Avant le Top 50 ? Avant Mozart ? Je peux très bien écouter un morceau de Purcell et un titre des Clash dans la foulée et il y a et il y aura toujours de nouveaux artistes passionnants dans des genres très différents, en France, en Angleterre, en Guinée Équatoriale ou ailleurs.
Si le film s’était déroulé de nos jours, à quels artistes contemporains aurais-tu pensé pour ta BO ?
Cédric Anger : Si le film était sur le porno d’aujourd’hui il n’aurait forcément pas le même ton, la même légèreté. Encore que lorsqu’on lit le livre Ne dis pas que tu aimes ça de Céline Tran (ex-Katsuni) on peut se rendre compte qu’il y a encore des filles et des garçons qui se sont amusés dans le porno récent et qu’il ne faut pas généraliser et systématiquement assombrir le tableau d’un « c’était mieux avant ». En tout cas, je crois que j’aurais fait un mélange entre des styles très contemporains, du rap par exemple, ou du rock alternatif, des styles que les actrices d’aujourd’hui écoutent, et de la musique sacrée pour les scènes de tournage. Le dynamisme de la confrontation entre les deux peut créer quelque chose d’assez intéressant.
Quelles BO ont marqué ta vie ?
Cédric Anger : Je suis un grand amateur de BO, j’en ai toujours beaucoup acheté et consommé. Je suis fan de Ryuichi Sakamoto, de Delerue, d’Elmer Bernstein, d’Alex North. La BO de Pierrot le fou est peut-être celle que j’ai le plus écouté avec celle d’Il était une fois en Amérique. J’adore Ennio Morricone, sa musique teinte chaque séquence de l’émotion du souvenir, d’un monde finissant, fantomatique même chez Sergio Leone. Mes compositeurs préférés sont souvent italiens et si Morricone est génial, il ne faut pas oublier Nino Rota, Pino Donaggio, Riz Ortolani, Bruno Nicolai, Armando Trovajoli ou Nascimbene.
La playlist du film
« Cum on Feel the Noize » de Slade
« I Love Video » de New Paradise
« Fuel Injection » d’Alan Hawkshaw
« Japanese Boy » d’Aneka
« Un’Ora Sola Ti Vorrei » d’Ornella Vanoni
« Sur ma musique » de Sonia
« Town Called Malice » de The Jam
« Clichés » d’Alain Kan
« Do it for me » de Jennifer
« Take it on the run » de REO Speedwagon
« The Plastic Age » de The Buggles
« Say it ain’t so » de Murray Head
« Midnight Blue » de Louise Tucker
Et pour demeurer, un instant encore, au sein de cette expédition nocturne et tapageuse, l’équipe du film a concocté une playlist Spotify de 100 titres – 7 heures de son – qui reprend les thèmes de L’Amour est une fête.
Visuel : (c) L’Amour est une fête