La Fondation Cartier a rendu possible la visite de l’exposition en concevant un site spécialisé autour de l’univers de la photographe.
Depuis le 30 janvier, les visiteurs affluaient à la Fondation Cartier pour l’art contemporain pour découvrir l’exposition Claudia Andujar, la lutte Yanomami, consacrée à la carrière de cette photographe suisse et brésilienne, qui a dédié sa vie à la découverte, connaissance et défense du peuple Yanomami, un peuple autochtone d’Amérique du Sud.
L’exposition, fermée pour cause de Covid19, est désormais accessible depuis le site mis en ligne par le musée.
Les centaines de photographies accrochées aux murs témoignent de ces différentes époques, et de la relation privilégiée qu’a su tisser Claudia Andujar avec les autochtones. Devenue très proche des Yanomami, elle n’a cessé de rendre compte des multiples aspects de leur identité et de leur culture : le caractère à la fois sacré et identitaire de la terre, la tradition chamanique qui implique l’invocation aux esprits et la guérison des membres de la communauté, et les multiples luttes auxquels ces peuples ont fait face. L’exposition s’intéresse aussi bien à la vie quotidienne des Yanomami, qu’à la dimension presque “sacrée” qui les habite.
“Sur cette photo, Claudia a essayé de traduire en quelque sorte, ce qu’elle comprend de l’univers chamanique des Yanomami, car pour eux, le monde et la forêt sont occupés par des esprits, les Chapiri, qui dansent dans le ciel, sur des miroirs. Quand ils descendent du ciel, ils paraissent briller. Claudia a créé un effet de lumière absolument magique en utilisant les lumières qui entrent dans les maisons collectives”, explique Leanne Sacramone, la conservatrice de l’exposition.
Chaque image est accompagnée d’une légende tirée de la Chute du Ciel, un ouvrage écrit par le chaman Yanomami Davi Kopenawa avec l’anthropologue Bruce Albert.
Quelqu’un comme Davi Kopenawa dirait que les chamans, justement, surveillent tout leur environnement, pas seulement pour eux, mais pour l’ensemble de la planète.
La tribu Yanomami compte environ 38 000 individus éparpillés dans la forêt amazonienne, entre le Brésil et le Venezuela. Peuple de chasseurs-cueilleurs, en autosuffisance totale, les Yanomami entretiennent des liens spirituels, quasi mystiques avec leur environnement. Ils surveillent la nature, et s’érigent en gardiens de celle-ci.
“Quelqu’un comme Davi Kopenawa dirait que les chamans, justement, surveillent tout leur environnement, pas seulement pour eux, mais pour l’ensemble de la planète” confie Fiona Watson, directrice de la recherche et du plaidoyer à Survival International. De même, le chamanisme occupe une place essentielle dans la culture Yanomami. Les esprits sont omniprésents. Un trait caractéristique des peuples autochtones, que Claudia Andujar a su déceler très tôt.
Alors jeune reporter en Amazonie, Claudia est fascinée par cette tribu qu’elle rencontre pour la première fois. Au cours de ses pérégrinations, elle s’essaie à différentes techniques photographiques afin de capturer leur mode de vie, et met en lumière les menaces qui les entourent.
Et de devenir l’équivalent d’une mère pour la famille Kopenawa : “Pour moi, en tant que Yanomami, son travail est vraiment très important. Il est très important pour montrer à la société, à la population non autochtone qui nous sommes donc effectivement Claudia est pour nous comme une mère”, raconte Dario Kopenawa, fils de Davi, et prêt à prendre la relève. “Les menaces existent depuis très longtemps (…) On a beaucoup lutté : surtout pour obtenir un territoire délimité, ainsi que la santé autochtone. On a voulu que nos droits soient inscrits dans la Constitution. Aujourd’hui d’autres menaces très importantes pèsent sur nous : le gouvernement menace notre territoire et sa délimitation ; le nôtre, mais aussi celui d’autres peuples” poursuit le jeune homme, en visite à Paris, et arborant des traits rouges sur son visage.
Les photos de Claudia Andujar sont donc incroyablement importantes, parce que ce sont des preuves de crimes commis contre les Yanomami sous la dictature, et lors de la construction de la route.
À la fin des années 1970, Claudia Andujar assiste avec effroi à un événement décisif : l’autorisation par le gouvernement brésilien de la construction de la route Perimetral Norte ; entraînant l’ouverture à la déforestation, et l’arrivée de 80 000 orpailleurs. Les conséquences sont dramatiques pour les Yanomami, qui doivent affronter des maladies, contre lesquelles ils ne disposent pas de défenses immunitaires. 7% d’entre eux disparaissent. “Les photos de Claudia Andujar sont donc incroyablement importantes, parce que ce sont des preuves de crimes commis contre les Yanomami sous la dictature, et lors de la construction de la route”, reprend Fiona Watson. Le rôle de témoin rempli par Claudia Andujar prend une nouvelle dimension : elle devient militante et fonde, avec l’aide Bruce Albert et du missionnaire Carlo Zacquini, la CPPY, la Commission Pro-Yanomami. S’ensuit une campagne internationale, visant à faire connaître et défendre les droits des Yanomami, et à leur octroyer un territoire.
Survival, ONG fondée en 1969 pour la défense des peuples autochtones du monde entier, y participe. Comme le confie la directrice de la structure française Fioré Longo, l’association se présente comme un mouvement mondial pour les droits des peuples autochtones : “Nous travaillons en partenariat avec les peuples autochtones en leur offrant une plateforme pour qu’ils puissent s’exprimer au monde, et nous enquêtons sur les atrocités auxquelles ils doivent faire face, surtout en ce qui concerne la terre (…) Nous nous considérons comme un mouvement, pas une association, parce que notre but c’est vraiment de faire bouger l’opinion publique, changer la manière dont l’opinion publique regarde les peuples autochtones. Nous sommes convaincus que les crimes contre les peuples autochtones trouvent leurs racines dans nos sociétés industrialisées”.
Les campagnes de mobilisation et de sensibilisation se multiplient. Grâce à Survival, les Yanomami disposent d’une tribune pour alerter la communauté internationale des crimes commis en Amazonie, et remportent leur combat. Comme l’indique Fiona Watson : “Ce n’est qu’en 1992 que le gouvernement brésilien a reconnu l’ensemble du territoire comme une terre Yanomami”. Leurs droits sont désormais inscrits dans la Constitution Brésilienne. Mais cette victoire n’est que de courte durée. En janvier 2019, l’élection de Jair Bolsonaro, qui prend la tête du gouvernement brésilien transforme le soulagement en panique. “Je pense que l’on peut complètement comparer la situation des Yanomami d’antan et les récents projets de Jair Bolsonaro. Il s’est toujours montré opposé aux droits territoriaux des Yanomami, et a gardé un œil sur le fait que le territoire est riche en sous-minéraux, comme l’or”.
Le nouveau président du Brésil tente de revenir sur les droits constitutionnels des peuples indigènes, et a évoqué l’idée de légaliser l’exploitation minière souterraine. Pour les membres de Survival, cela entraînerait l’augmentation des quantités de mercure utilisées, auxquelles les Yanomami ne résistent pas. Bolsonaro a également nommé Ricardo Lopez Dias à la tête de la Commission des Peuples Non Contactés, organe du Ministère des peuples indigènes : “C’est une décision qui suscite énormément d’inquiétude, parce qu’il est évangélique, fondamentaliste, et il appartient à la secte évangélique la plus radicale”, renchérit Fiona Watson, qui anticipe des tentatives de conversions forcées des peuples non contactés. Ces derniers sont des peuples autochtones qui vivent dans un état d’isolement volontaire, c’est-à-dire qu’ils refusent de communiquer avec la société majoritaire. Les militants de Survival craignent un génocide, et invoquent le droit à l’autodétermination des peuples, à l’instar de Fioré : “Pour nous, Bolsonaro est en train de mettre en place une politique de génocide législatif, c’est-à-dire de réaliser des politiques ou des lois qui vont vraiment changer ou faire retourner en arrière les droits des peuples autochtones obtenus après des années et des années de bataille”. Des problématiques que l’exposition de la Fondation Cartier met en lumière, à travers les luttes passées des Yanomami.
Visuels © Claudia Andujar