Vous n’êtes pas sans savoir que le bois de nos parquets, le soja de nos plats végétariens, la palme de notre huile n’apparaissent pas par magie, tout cela, et bien d’autres choses nous viennent des grandes forêts primaires, nichées au 4 coins du monde. Et 10 millions d’hectares de ces forêts disparaissent, chaque année. Pour les défendre, il y a ce qu’on appelle des Gardiens, oui, gardien de la forêt, c’est un métier.
Mundiya Kepanga est né au petit matin sous un vieux Kouradja couvert de mousse, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. “On dit que les arbres sont les enfants des nuages et du soleil” répète-t-il aux journalistes, assis comme des enfants tranquilles pour la conférence de presse qui se tenait lundi 27 novembre à l’UNESCO. Il porte sa plus belle coiffe, des plumes majestueuses aux couleurs chatoyantes, comme celles, plus hautes que touffues, qui trônent au-dessus du visage dur de Benki Piyako. Lui, c’est le leader du peuple Ashaninka, et le gardien de la forêt Amazonienne. Parce que, oui, gardien de la forêt, c’est un métier. Ou plutôt “un devoir” selon ces cinq représentant‧es des forêts primaires, réunis pour la première fois, et à Paris en prime, au cœur d’une capitale grise de pollution, le comble. Amazonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Canada, Mongolie et Gabon, chaque forêt subit différemment les conséquences d’une exploitation industrielle effrénée et du dérèglement climatique.
« Le progrès est en train de mener à la guerre »
“Certaines zones de la rivière la plus grande de notre Amazonie sont devenues totalement sèches” martèle Benki Piyako. “Quand on regarde la production de bœuf, de soja, les produits agricoles toxiques jetés sur la terre, les minerais, le fer, l’or, le pétrole… Il y a par exemple cette route qui traverse l’océan Atlantique jusqu’au Pacifique, qui transperce toute la forêt Amazonienne. Elle va faciliter l’exploitation du bois, des mines, l’exportation du soja, de la viande. Et qui est en train de financer cela ? Ce sont les gouvernements d’autres pays. Pour les intérêts, sans penser à ce que cela va causer pour nous, nos territoires autochtones. Le progrès est en train de mener à la guerre. Où est-ce que ça va s’arrêter tout ça ?”
Silence dans l’assemblée, il faut digérer le fait de se prendre en pleine face ce que l’on sait déjà. Nous, les acheteur‧euses d’Europe, participons à 16 à 20% de la déforestation importée, c’est un genre de déforestation indirecte, parce que nous consommons des produits qui participent à déforester les grandes forêts (chiffres de WWF).
« On est ici pour vous dire ce qu’il se passe »
C’est pour nous réveiller que ces 5 chef‧fes ont pris l’avion. “Prendre l’avion pour la première fois, tout seul, pour aller dans ce pays que je ne connais pas, pieds nus, ce n’était pas facile” raconte Mambongo. Chez lui, c’est moins la déforestation que la dégradation, les braconnages qui pillent les richesses de sa forêt, comme dans la forêt de Mongolie, la taïga rouge, représentée par Tumursukh Jal. Mambongo est guérisseur, très proche des plantes. Le lien entre les humains et leur terre lui tient à cœur. Très pragmatique, il répète que la clé, c’est l’éducation. “Il faut apprendre au petit à planter. Une fois qu’il a planté, il obtient aussi la nourriture de l’esprit.” De son côté, Benki Piyako a déjà commencé à replanter, avec des jeunes brésilien‧es. Le compteur en est à 3 millions d’arbres, « Cette forêt, ce n’est pas nous qui l’avions détruite, mais nous l’avons replantée. »
« Ce ne sont pas des contes, on voit les rivières qui s’assèchent, les forêts brûlées, la contamination de l’eau des rivières, les poissons qui meurent » énumère Benki Piyako. « C’est sous nos yeux à nous, et on est ici pour avertir, pour vous dire ce qu’il se passe. »
Si les chefs politiques prenaient les bonnes décisions
Du reste, le message principal est celui d’un appel à légiférer. “La clé repose sur d’abord les hommes politiques locaux” pose Mundiya Kepanga, gardien de papouasie-Nouvelle-Guinée. “Ils doivent agir concrètement, avec des lois pour protéger les forêts. Ensuite, il faut faire comprendre à la communauté internationale (l’ONU, l’UE) qu’il faut nous aider, financièrement, nous donner les moyens de protéger ces forêts.” Simple, basique. Chez lui, les autochtones ne sont pas en minorité “nous sommes un territoire souverain, le premier ministre fait partie de ma tribu. Ce sont des Papous qui ont fait l’erreur d’abord de voter des lois qui ont engendré de la déforestation. Ils sont maintenant en train d’inverser les choses, il y a des leviers que l’on voit dans l’épisode du documentaire tourné chez moi. La situation peut changer si les politiciens, les chefs, prennent les bonnes décisions.”
“Je suis persuadé que les films ont un pouvoir”
Il y a les mots et les images. Les conférences et la puissance des produits télévisuels. “Il y a eu ce film, Frères des arbres” se souvient Mundiya Kepanga. Je pense qu’il a pu influencer des hommes politiques chez moi.
“Je suis persuadé que les films ont un pouvoir”, conclue-t-il. C’est aussi ce que pense l’équipe à l’origine de la série documentaire “Gardiens de la forêt”, diffusée sur Arte. Un épisode par forêt, par chef‧fe, par combat. La série est réalisée par Jérôme Bouvier, Marc Dozier, Mike Magidson, Luc Marescot et Hamid Sardar. Loin de folkloriser leurs combats, la série nous invite à faire place à leur vision du monde. Ces personnalités, indissociables des écosystèmes qu’elles défendent, nous font voir comme la marchandisation de la nature, que l’on a fini par intégrer comme ordinaire, ne va pas tellement de soi.
Ils et elle étaient pour la première fois réunis, tous les cinq, à l’UNESCO, et le seront à nouveau ces 1ᵉʳ et 2 décembre à la Gaieté Lyrique pour témoigner et échanger. Un moment précieux, terriblement d’actualité, à la veille de la COP 28, qui se tient cette année à Dubaï.
Vendredi 1ᵉʳ décembre, à 18h30, trois heures de live sur Twitch et à La Gaîté Lyrique pour visionner plusieurs documentaires de la série et échanger avec les gardien.es et les réalisateurs.
Samedi 2 décembre, Journée spéciale « Gardiens de la forêt » à La Gaîté Lyrique à Paris avec avant-premières, rencontres, ateliers… et en soirée, une conférence avec les gardien.nes, animée par la journaliste Salomé Saqué.