De l’autre côté des Pyrénées se tient actuellement l’équivalent espagnol de Cannes : sans la Croisette, mais à dimension plus humaine.
Alors que les salles de cinéma ont encore un peu mal à se remplir, les festivals, eux, font carton plein. Il faut dire que l’automne, c’est la pleine saison pour eux. Loin des immuables et mastodonte rendez-vous internationaux d’hiver et de printemps, que sont Berlin et Cannes, en septembre s’enchaînent ou presque, Venise, Toronto et San Sebastian. Ils sont un peu moins médiatiques, mais pas moins négligeables. San Sebastian a même pris l’habitude de se rebaptiser, « le plus petit des grands festivals ». A tort, quand non seulement, c’est l’épicentre du business du cinéma espagnol, mais aussi quand il diffère des autres manifestations, en étant fondamentalement accueillant pour le public quand les autres sont plus réservés à l’industrie.
Il y a quelque chose de très touchant à voir dans cette période de pandémie, des salles aussi pleines qu’enthousiastes. Surtout quand cette année, la programmation reflète non seulement un état du monde des plus inquiets quand à l’avenir mais se passe, pour énormément de films présentés, dans un cadre particulièrement intime. Beaucoup explorent des histoires d’individus en rupture avec leur environnement. Ainsi, la jeune fermière de la fin du XIXe siècle, dans As In heaven, film danois sous bel héritage Dreyer ou la jeune roumaine teigneuse d’aujourd’hui de Crai Nou, pour ne citer qu’elles, se rejoignent dans la difficulté de s’émanciper des règles familiales.
D’une manière plus générale, quelles que soient les sections ou les nationalités, les films de cette édition énoncent clairement leur désarroi face à l’époque. Parfois en ruant dans les brancards, comme le douanier du Bruit des moteurs incapable de s’évader de son village canadien ou en succombant aux crises de paranoïa comme le prof slovène du grinçant Inventory peu à peu persuadé que tout le monde, surtout ses proches, ont voulu le tuer. Même les histoires de résilience spécifiquement locales, dont celle de Maixabel, autour du véridique rapprochement entre le mari d’une victime de l’ETA et son assassin, témoignent des obstacles que mettent une période faite de défiance, de méfiance sur un chemin qui ramènerait vers quelque chose de plus paisible.
Quand ce n’est pas l’étonnante adaptation des Illusions perdues de Balzac par Xavier Giannoli qui scrute sous ses costumes des torts et travers – du phénomène des Fake News à la domination du libéralisme – très contemporains. Tout ça n’étant qu’un petit aperçu de la densité d’une édition clairement préoccupée par le monde tel qu’il se prépare. Mais au vu donc de la foule dans les salles, comme de la qualité générale des films ou même d’une météo qui a la politesse de ne faire tomber des trombes d’eau uniquement la nuit, le festival de San Sebastian, qui se tient jusqu’à samedi soir, a de très beaux airs de parenthèse encore un peu enchantée. Du moins pour les cinéphiles.
Jusqu’au 25 septembre. Plus d’infos : https://www.sansebastianfestival.com/in/