La chronique « Tout doit disparaitre » de Marie Misset, à retrouver toute la semaine dans la matinale de l’été.
Dans la matinale de l’été, Marie Misset fait sa chronique, « Tout doit disparaitre ». Et parle aujourd’hui des Trains de Nuit.
Cette disparition me touche beaucoup. Il s’agit en France, de la disparition des trains de nuit. Le 8 décembre 2017 à 21h19 partait le dernier train bleu. Un train en service depuis 127 ans et qui reliait Paris à Nice. Agatha Christie lui avait même consacré un livre entier, logiquement intitulé Le Train bleu, paru en 1928. Hercule Poirot était super content de le prendre pour aller se reposer sur la Côte d’Azur. Bon, c’est vrai que dès qu’on prend un train de nuit chez Agatha Christie, on a une chance sur dix de mourir assassiné (cf. en sus de Le Train bleu, Le Crime de l’Orient-Express) mais dans la vraie vie non.
La SNCF se dégage peu à peu de tous les Intercités de nuit, parce que ça coûte cher, que c’est déficitaire. Sur les sites des associations pro-train de nuit comme « Oui aux trains de nuit » où on lit que c’est un choix politique, que ça coûte beaucoup d’argent, mais que l’entretien des routes aussi, c’est une fortune. Sur les dizaines de trains de nuit encore en activité il y a 20 ans, il n’en reste plus que deux : le Paris-Briançon et le Paris-Rodez-Toulouse-Latour-de-Carole. Les derniers des Mohicans, sans doute remplacé un jour par des bus, qui ne proposeront pas de sac à viande (« Drap cousu en sac dans lequel l’on se glisse que l’on peut glisser dans un sac de couchage, pour ne pas en salir l’intérieur » selon Wikipédia) au logo SNCF qu’on pouvait discrètement chaparder en sortant du train. Vous me direz, déjà dans les derniers moments du train bleu, on ne pouvait plus voler le sac à viande. Il était accroché au mur.
Les bus ne proposeront pas de voyage aussi écolo que le train. Les bus ne proposeront pas l’intimité forcée d’un compartiment bondé avec des inconnus parfois en pyjama. Les bus ne proposeront pas ces rencontres éclaires, où l’on dort ensemble juste après s’être dit bonsoir (parfois même, pour les plus timides/malpolis, sans même se dire bonsoir). Surtout, le bus ne proposera pas des petites surprises matinales.
Sur le train de nuit – qui existe encore – Paris-Rodez. Le train dessert trois terminus : Rodez, Toulouse, et Latour-de-Carole. Un reporter de Reporterre, envoyé sur ce front, raconte que chaque destination a ses voitures attitrées et que lors des arrêts en gare, certains sont détachés et prennent une autre direction. Ainsi il n’est pas rare, lui raconte un contrôleur de nuit, que quelqu’un – agacé par les ronflements d’un voisin – change de wagon et se réveille dans la mauvaise ville. Et puis surtout les bus ne proposeront pas – contraint par la nécessité d’être rentable – de désenclaver des villes qui ne verront pas tout de suite le TGV.
Mais, il y a un espoir pour que le roulis d’un train de nuit, pour que la couchette d’un mètre sur 50 cm revienne dans nos vies, pour que le réveil à Latour-de-Carole ou Nice revienne dans nos vies. Cette lueur nous vient d’Autriche, qui a décidé il y a deux ans de relancer tous ses trains de nuit. Le pays a réorganisé tout son réseau d’Intercités nocturnes et le succès a déjà dépassé les attentes de OBB, l’entreprise publique qui a pris cette décision : en un an, l’équilibre financier était déjà atteint.
Gardez vos sacs à viande de côté, tout n’est pas terminé.
Visuel (c) capture d’écran Youtube / Le Crime de l’Orient-Express