Annulé en 2020 et 2021, le Pointu Festival conviait Jungle, The Hives, Shame ou The Avalanches sur son magnifique site de l’île du Gaou. Coup de cœur pour beaucoup de choses, dont le live de Stella Donnelly, seule meuf du festival et plus chouette live de ces trois jours forcément très pointus !
Six-Four-les-Plages. Son littoral très familial. Ses boutiques qui vendent bouées, ballons et tongs en plastique à des vacanciers pas en retard. Sa chapelle présente ici depuis le Ve siècle. Ses bateaux qui assurent plusieurs fois par heure la liaison avec les très belles îles des Embiez. Et durant ces trois premiers jours de juillet, sur la superbe île du Gaou, son « festival de musique indie, au sens large » (comme le synthétise Vincent Lechat, directeur et programmateur du festival), qui vivait en cette année 2022 sa sixième édition. Les habitudes, ici et le temps d’un week-end, sont bousculées et les publics renouvelés.
Tant mieux pour les amateurs de musique de cette commune aux quelque 33 000 habitants (agglomération de Toulon), qui ont suivi pendant 18 ans les aventures du Voix du Gaou, disparu en 2015 et qui a dû céder sa place, dans la foulée, à un Pointu qui a su assumer, d’années en années, un tropisme toujours plus certain pour un rock pluriel, branché, exigeant… pointu ? Mogwai, Thee Oh Sees, Ride, Slowdive, Metz, Suuns ou même Godspeedyou! Black Emperor sont passés par un événement qui n’a naturellement pas eu lieu, pandémie mondiale oblige, ni en 2020, ni en 2021 (l’année dernière, Biolay ou Catherine Ringer sont venus à Six-Four pour des concerts assis, mais pas sous l’étiquette Pointu).
D’abord, les cigales
Sur place, sur une île du Gaou où elles ne souffrent d’ordinaire pas de la présence des humains, les cigales tentent de rivaliser avec les cris des guitares même si chacun sait que la lutte est vaine (pour les guitares). Leurs chants qui annoncent les chaleurs estivales accompagnent la programmation du vendredi, où c’est un line-up nécessairement très rock qui ouvre. D’abord, les mecs d’Unschooling, dont certains ont fait leurs armes au sein du groupe MNNQNS, qui jouent une musique post-punk pleine de larsens qui ne font pas trop mal (on se protège les oreilles, quand même), parfois crasseuse, parfois pop, toujours consciente de ce que son nom implique et des fantasmes qui y sont liés (les sales gosses déscolarisés, à l’heure de Parcoursup, finissent non pas dealers, mais parfois musiciens).
Puis les mecs de Beak>, avec Geoff Barrow en tête de liste (cofondateur et batteur de Portishead, from Bristol) et une musique qui vagabonde entre rock très expérimental, kraut très référencé, prog rock très intello, et des élans qui se font même carrément techno.
On pense à Suuns, à Zombie Zombie, aux bandes-son de John Carpenter et on recommande les albums >> et >>> en précisant qu’il n’y a bien, ici, ni faute de frappe, ni fausses notes dans le live formidablement réussi du premier grand moment live de ce Pointu Festival cuvée 2022.
Jungle, danse machine
Mais la vraie tête d’affiche du soir — et paradoxalement même, du festival — ne sonne pas rock mais funk, disco, boogie, pop virtuose. C’est le son de Jungle, que l’on pourrait avoir vu 150 fois en festival (c’est peut-être votre cas) mais dont on ne se lassera jamais et dont on saluera toujours autant l’énergie, le professionnalisme, l’éclat et globalement le show (car c’est bien de cela dont il s’agit) calibré au millimètre près (on exagère à peine) qui est le leur. Et pourtant, le groupe se déplace en sextet et avec une installation light aussi exigeante qu’un set qui déploie ces tubes que vous connaissez car bien évidemment entendus sur Radio Nova (« Good Times », « Casio » ou l’immense « Keep Moving »), dépense une force hallucinante dans la bataille, fait danser tous les âges, toutes les tailles, toutes les humeurs. Tout le monde quoi.
C’est, pour résumer, un kiffe absolu d’une heure et une goinfrée de dopamine qui fonctionnera encore longtemps sur ceux qui y ont été confrontés. « Ça fait 48 heures, j’en ai encore des frissons », nous dira comme ça, au passage, ce festivalier qui, dans la vie de tous les jours, vend des attirails de plage et des vélos de toutes sortes au Porc du Brusc de Six-Four-les-Plages. « Depuis, j’écoute l’album toute la journée au magasin », ajoute-t-il, des étoiles dans les yeux et le morceau « All of the time » dans la tête.
A-t-il participé à la chenille qu’a su déclencher, vendredi début de nuit, le live de The Avalanches ? Il était malheureusement parti avant, et il n’était pas le seul : deux DJ qui font le bruit et le beau temps au sein d’un live qui ressemble à un DJ set un peu trop déconstruit pour être convaincant, d’autres l’avaient quitté bien avant lui. Par contre, par pitié si vous ne l’avez pas encore fait : écoutez l’album We Will Always Love You, sorti il a deux ans.
« The Hives est le meilleur rock band du monde »
Le samedi, c’est rock party. Pour ouvrir, The Spitters — un groupe toulonnais qui fait le spectacle, joue au punk, crache sa rage de vivre (et des mollards sur les collègues, sympa les mecs), fait pogoter dans la foule les nombreux copains et copines venus les voir. Puis un groupe qui reprend les manières des anti-héros / anti-sourires noisy pop et shoegaze des années 90 (Slowide + The Jesus & Mary Chain x Ride + My Bloody Valentine = Bryan’s Magic Tears) et présente un troisième album plein de spleen et d’effets (Vaacum Sealed). À suivre, des Londoniens venus en nombre — ils sont huit sur scène et portent un prénom de fille, Caroline — qui peinent à retranscrire la splendeur de leur premier album éponyme sur scène, avant de tout rattraper sur le dernier morceau, « Dark Blue », une merveille qui fait léviter les sens et dodeliner de la tête. En studio, ça éclate mais en live, ce samedi, ça ronronne un peu.
Pour finir, deux fous furieux. Bien inspirés, et plutôt que de les enfermer de force avec une camisole qui brimerait tout, certains ont eu la bonne idée de leur confier un micro, une bande, des possibilités d’exprimer sur disque et sur scène le grand bazar qui les habite sans doute à l’intérieur.
L’un est plutôt très jeune, exprime les angoisses, les troubles, les inquiétudes générationnelles et les mutations des jeunes années au sein de l’explosif projet new-yorkais GEESE — l’album Projector est sorti en 2021 — où il défend un rock névrotique, explosif, très indie, post-punk quelques fois, qui fait danser et ferait même peut-être, sur quelques sommets, se taper (gentiment) les têtes contre les murs s’il y en avait, des murs. Heureusement, sur l’île du Gaou, il n’y a qu’une pinède, pas mal de poussière, la Méditerranée qui borde les âmes et des gosses, plus jeunes encore que le leader et front man Cameron Winter, qui headbangent afin de rappeler aux plus vieux que le rock n’a pas d’âges.
L’autre est plus expérimenté, arpente les scènes du monde entier depuis 20 ans avec un groupe devenu, entre-temps, le « meilleur groupe de rock suédois du monde » (c’est lui qui le dit mais tout le monde a l’air d’accord). The Hives traîne une flatteuse réputation de groupe dynamiteur de scène et rien, ici, n’est usurpé : Howlin’ Pelle Almqvist, chanteur et leader du groupe, donne tout ce qu’il a et même le reste, parle un français presque correct, fait hurler le public qu’il chauffe dès que l’occasion de présente (c’est-à-dire : tout le temps), interprète avec une énergie folle cette musique punk (de stade, assurément) qui fait transpirer tout le monde et même ceux en costards (les musiciens, fidèles à leurs habitudes, en portent toujours).
« Hate To Say I Told You So » a été un grand morceau avant d’avoir été la pub Citroën que vous avez en tête. Tout le monde prend d’un coup 20 ans de moins, les plus motivés terminent la nuit dans l’espace chill out où les mecs de Casual Gabberz, à l’improviste car de passage dans le coin, prennent les platines (ce genre d’espace chill…)
Slams, pogos, bières, punk : Shame
Déception pour le dimanche car Cigarettes After Sex a annulé. C’est la faute à la grève des transports aériens, pas de chance et plutôt que de lever le poing en compagnie des syndicats et des grévistes, les festivaliers du Pointu lèvent le poing, ce dimanche soir, pour les fous furieux de Shame, qui clôturent à la place des Californiens qui clopent après l’amour. En rentrant, certains mettent fort Cigarettes After Sex dans la voiture car quand même, c’est dommage.
Donc, Shame. Un gang of Brixton mené par des gamins chez qui personne n’a beaucoup plus de 20 ans et où tout le monde a une rage, une fureur, une énergie décuplée à revendre. Du post-punk qui tape, et très fort. Pogo dans le public, slams dans tous les sens (pour le public et pour le chanteur, Charlie Steen), un bassiste qui a dû perdre 10 kilos hier soir à force de traverser la scène en courant et un public qui, parce qu’il faut bien vivre, lance parfois de la bière dans le public juste pour rigoler (les ados qui dansaient frénétiquement jusqu’alors devant nous s’en vont mécontents car ils ont été mouillés). Du punk pour puristes, pour post adolescents, pour amateurs de guitares saturées et de combats beuglés au micro, et beaucoup, parmi les 12 000 festivaliers présents sur site sur les trois jours (pour un passage en payant cette année, c’est plutôt très encourageant !), pour s’accorder sur le fait qu’on tenait là l’un des grands moments de cette édition 2022.
« Je t’aime, Stella »
C’est Shame qui clôture mais la dernière très grosse impression de ce Pointu Festival édition 2022 est laissée par l’Australienne Stella Donnelly, révélée en 2019 avec l’album Beware of The Dogs. Seule avec sa guitare ou entourée d’un live band (« bonsoir Georges ! »), la chanteuse offre une rafale de sourires (ça ne fait jamais de mal !), joue un instrument que plus personne ne joue (de l’harmonica comme Dylan), présente des musiciens aussi sympas qu’elle et que tout le monde adopte tout de suite. Jacques, lui, parle français alors, la foule scande son nom. Lorsqu’elle lance une chorégraphie qu’elle a sûrement inventée elle-même, le public la danse aussi. C’est sympa comme tout, cette histoire.
Stella Donnelly, c’est de l’indie folk qui sonne juste, qui sonne drôle, devient tubesque sur les morceaux « Beware of the Dogs » ou « Lungs », qui ne se prend pas au sérieux, avoue une passion assumée pour les vibromasseurs (ok), raconte ces réveillons de Noël où l’on s’ennuie un peu, et qui élucide, enfin, un mystère : c’est sans doute pour ce soleil-là, celui amené par Stella qui dit « je t’aime » à tous ses musiciens sur sa cover de « Love is in the air », que les cigales, durant ces trois soirs de festivals, ont chantés si fort sur l’île du Gaou.