Anti-héros raffiné, dandy décadent, prince malade des confinés : vénéré par Gainsbourg ou Maylis de Kerangal, le reclus d’« À rebours », légendaire roman de Huysmans, prend ses quartiers sur Nova (à pas de tortue).
À toutes et à tous les nostalgiques du confinement, de ce temps figé d’enfermement préservé hors des remous malheureux de la société, prenez place dans la demeure du duc Jean des Floressas des Esseintes, « un grêle jeune homme de trente ans, anémique et nerveux, aux joues caves, aux yeux d’un bleu froid d’acier, au nez éventé et pourtant droit, aux mains sèches et fluettes », à la barbe en pointe « extraordinairement pâle », « à l’expression ambiguë, tout à la fois lasse et habile », issu d’une lignée décadente « d’athlétiques soudards » des territoires d’Île-de-France et de Brie, qui, à force de marier « leurs enfants entre eux », ne créeent plus que des mâles efféminés.
Anti-héros raffiné, dandy décadent, le reclus d’À rebours, légendaire roman de Huysmans publié en 1884, perd ses parents à dix-sept ans. Son enfance fut funèbre, sa famille se préoccupe peu de lui, ses domestiques sont vieux, il lit et s’abreuve de solitude. Fréquentant brièvement « les jeunes gens de son âge » ou les « dégoûtantes discussions » d’hommes de lettres, des Esseintes laisse croître son « mépris de l’humanité » jusqu’à faire naître l’irrépressible besoin de se « blottir loin du monde, de se calfeutrer dans une retraite », dans sa bicoque de Fontenay, enfilade de boudoirs roses ou des glaces qui se font écho, théâtre d’expériences artistiques, végétales ou médicales hors du commun.
« Ce n’est pas un roman aimable, écrit Maylis de Kerangal dans la réédition de poche parue chez Flammarion. Dès les premières pages, À rebours dédaigne toute forme d’empathie.» « Immédiatement transgressif, et vaguement effrayant », poursuit l’autrice de Réparer les vivants, « c’est tout autant le roman d’un exil volontaire que l’édification d’un musée personnel, un cabinet de curiosités, tout autant un manifeste esthétique qu’un pamphlet misanthrope, tout autant le journal d’une solitude que le portrait d’un homme qui se sauve, tout autant une méditation sur la décadence et la mort, une plongée dans la dépression, une diffraction du spleen, que l’inventaire fiévreux de ce qui leur résiste : la beauté́. (…) Nous devrions donc étouffer dans ce livre, suffoquer sous les lourds parfums des fleurs dont le héros raffole, nous sentir asphyxiés d’amertume et de fiel, quand À rebours demeure de bout en bout un roman nerveux, excité, fébrile. »
Cinq extraits capitaux-capitaux de ce diamant noir, vénéré par Gainsbourg, Oscar Wilde ou Houellebecq, seront lus dans cette émission – à pas de tortue, mais dont la carapace sera couverte, bien entendu, de pierres précieuses, glacée d’or, de rubis ou « d’yeux de chat de Ceylan ».
Une émission imaginée et animée par Richard Gaitet, réalisé par Mathieu Boudon. Programmation musicale : Michael Liot.
Gravure : Auguste Lepère (1903).