Le label InFiné sort une compilation de Maloya électronique : 18 artistes et 40 ans d’expérimentations.
Il y a quelques semaines, on apprenait que le Piton de la Fournaise, le volcan de l’île de La Réunion – considéré comme l’un des plus actifs du monde – était de nouveau entré en éruption. Rassurez-vous : après avoir craché un peu de sa roche liquide, il s’est finalement apaisé…
La fusion que l’on découvre aujourd’hui, bien que tout aussi flamboyante, est plus musicale.
Le 21 juin dernier, à l’occasion de la Fête de la musique, est sortie une compilation estampillée InFiné et très justement titrée Digital Kabar. En créole, le « Kabar » renvoie à la fête traditionnelle de La Réunion : on danse, on chante et, bien entendu, la musique est mise à l’honneur, principalement le Maloya. Hérité d’un passé colonial et esclavagiste, le Maloya, c’est ce genre musical qui fut réprimé à la fin des années 50 par l’administration française, suite à la départementalisation de l’île. Jugé d’abord trop subversif – il pouvait, disait-on, encourager des revendications indépendantistes un peu trop dangereuses -, il entra finalement, juste avancée des choses, au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2009.
Début mai, on a eu l’occasion d’avoir un avant-goût de cette compilation en nous envolant pour La Réunion où se tenait la onzième édition du festival Les Électropicales qui, cette année, abritait, justement, une scène intitulée « Digital Kabar », pensée avec InFiné et Alexandre Cazac, qui voit dans cette fusion « une sorte de synthèse de ce qui passionne InFiné depuis les origines du label ; un point de tuilage entre différentes cultures avec une dimension mémorielle respectueuse et en même temps une grande énergie de vie qui fait progresser. » Fondamentaux également dans la mise en place du projet, le journaliste Sophian Fanen qui a ouvert les radars lors d’un article sur le genre dans Libération il y a quelques années, et Enora Pellerin, collaboratrice d’InFiné et originaire de La Réunion.
Dix-huit artistes, et donc dix-huit manières de voir les choses
Parmi les artistes qui figurent sur le disque, ceux que nous avons pu rencontrer pendant le festival en témoignent. Loya, par exemple, que l’on retrouve sur le morceau « Malbar Dance », et qui nous a expliqué la genèse du projet : « Les Électropicales nous ont contactés pour créer, avec le label InFiné, une compilation des artistes qui, depuis les années 80, ont travaillé avec la musique électronique et le Maloya traditionnel. »
C’est bien cette diversité dans la sélection qui, selon Loya, en fait toute la qualité : « Comme il y a dix-huit artistes, il y aura dix-huit façons de voir les choses. C’est ça qui est intéressant : comment quelqu’un qui est derrière un ordinateur ou une machine fusionne avec cette musique traditionnelle. Voilà, cette compilation c’est ça ! »Elle regroupe en effet des artistes ayant pour point commun l’expérimentation, celle de fusionner, et depuis 40 ans déjà, le Maloya traditionnel et les musiques électroniques. « Le premier titre sorti est celui de Jako Maron, l’un des précurseurs du Maloya électro à La Réunion. » Jako Maron est l’une des grandes figures du genre qui a ouvert la voie à beaucoup d’artistes : « J’ai un grand respect pour lui, il est comme moi, un expérimentateur. »
Et chaque expérimentation débouche sur une production inédite, comme le note Labelle, musicologue de formation et signé chez InFiné : « Dans cette aventure pour créer ce mélange électro/Maloya, il y a plein de voies à explorer, il y a plein de manières de faire. Un bon exemple, c’est Jako Maron et moi-même : deux manières de faire ce mélange, totalement différentes mais aussi très complémentaires. Il n’y a pas qu’une recette, il y en a plein ! »
On utilise le vocabulaire mais pas la grammaire.
Loin de constituer un problème de cohérence, l’hétérogénéité esthétique de la compilation permet de mesurer subtilement la variété d’interprétation qui découle de cette fusion. Florent, du duo de producteurs formant Do Moon avec Stéphane, nous l’a confirmé : « Soyons clair, Do Moon ne fait par exemple pas du Maloya électronique ; Do Moon fait de l’afro-house ou, plus largement peut-être, de l’afro-digital quand on s’éloigne des BPM classiques de la house. Mais, majoritairement, on fait de l’afro-house. […]. Parfois, par contre, on va prendre un kayamb plutôt qu’un hi-hat parce qu’on aime bien en jouer. Stéphane a une expression pour ça : “on utilise le vocabulaire mais pas la grammaire”. On va prendre les instruments de l’Océan Indien mais on ne va pas les jouer comme les musiciens de l’Océan Indien en jouent. »
Agnesca, elle, est une DJ et productrice techno. Son approche du Maloya est tout aussi personnelle : « Je suis attirée par les sonorités indiennes, j’aime beaucoup les rythmes un peu breakés, le ternaire. Ce qui va s’apparenter le plus au Maloya chez moi, ça va être le rythme ternaire que je vais utiliser dans mes morceaux. Et le métissage. »
Une bonne image de la créolité, du syncrétisme réunionnais
Que ce soit par l’usage de samples d’instruments typiques du Maloya tels que le kayamb, le roulèr ou le pikèr, l’utilisation du rythme ternaire ou leur capacité à mettre en état de transe, les musiques produites par ces artistes réunionnais constituent un espace de rencontre des cultures, de métissage. Labelle nous rappelle à ce propos que le Maloya, « est une musique qui a toujours su intégrer les nouveaux arrivants sur l’île, leurs influences, leurs cultures. C’est vraiment une bonne image de la créolité, du syncrétisme réunionnais. C’est tout ça le Maloya, et cette compilation Digital Kabar montre la dernière période, c’est-à-dire celle des années 90 à aujourd’hui. »
Le Maloya, il y a 50 ans, c’était underground
Pour Labelle, cette compilation Digital Kabar est à la fois une vitrine « des expérimentations qui existent et, en même temps, un tribute à ce qui s’est fait depuis 20 à 30 ans. Parce que, dans la compile, il y a des choses qui datent des années 90. La compile s’arrête à cette époque-là, mais on peut remonter plus loin, à Alain Peters, aux années 70, et même avant. »
Il faut bien se rappeler aussi que le Maloya n’a pas toujours eu la visibilité que lui offrent désormais le festival et cette compilation d’InFiné. Dans les années 50/60 et jusque dans les années 70, faire du Maloya, c’est globalement mal vu, et c’est même parfois interdit. Labelle : « La génération de mes parents n’a pas connu l’essor du Maloya comme on le connaît aujourd’hui. Le Maloya est bien plus démocratisé qu’il y a 50 ans. Il y a 50 ans, c’était très underground. »
Visuel © InFiné Music