Ou comment Vera Rubin a plié le game.
Alors que le monde entier pleurait la coupe en brosse de George Michael, un autre personnage atypique a eu le bon goût de mourir un 25 décembre. Vera Rubin était astrophysicienne, c’est elle qui a découvert l’existence de la matière noire, c’est à dire la composition de 27% de l’Univers. Chercheuse et enseignante, féministe, figure de l’empowerment féminin dans le monde des sciences et de la physique, Vera Rubin était ce qu’on appelle une pionnière.
À contre-courant
Il lui a fallu enfoncer beaucoup de portes, pas du tout ouvertes. D’abord en s’imposant en tant que femme dans des études d’astronomie, au début des années 40. À l’époque, rares étaient les universités qui acceptaient des femmes dans ces cursus. Ou même dans un cursus tout court. Comme le rappelle Mashable, le doyen de la prestigieuse université de Princeton, où elle projetait de faire ses études, lui expliqua gentiment qu’il n’y avait aucun intérêt à laisser les femmes étudier.
C’était sans compter sur la détermination de la jeune femme. “Je n’ai jamais pensé que je n’étais pas capable d’être astronome, racontait-elle dans une interview en 1989. Je connaissais le parcours de Maria Mitchell (…) et je savais qu’elle avait enseigné à Vassar. Il y avait donc une école où les femmes pouvaient étudier l’astronomie.”
C’est donc dans cette université de l’État de New York, entre autres, que Vera Rubin a fait ses armes. Avant de débarquer à la Carnegie Institution de Washington D.C. et de s’imposer dans un monde d’hommes dès 1948.
En 1965, elle fut la première femme à accéder au Palomar Observatory, un centre de recherche jusque là réservé aux hommes. À tel point qu’il n’y avait pas de toilettes pour femmes. Sa collègue de l’époque, Neta Bahcall, raconte à astronomy.com: “Elle est repartie dans son bureau, elle a découpé une jupe dans du papier et l’a collée sur le bonhomme sur la porte des toilettes. Elle a dit ‘Voilà, maintenant il y a des toilettes pour femmes.’ Voilà le genre de personne qu’est Vera.”
La légende veut aussi qu’elle ait eu pour habitude d’appeler les organisateurs de conférences quand elle n’y trouvait que des hommes pour leur dire qu’ils avaient “un problème à régler”.
La matière noire
Vera Rubin ne s’est pas contentée de peser dans le game du féminisme. Elle a aussi largement plié celui de l’astrophysique. Dans les années 1970, elle se rend compte que la vitesse de rotation des étoiles n’était pas uniquement déterminée par la gravité, et qu’une autre force influe sur leurs déplacements : la matière noire, déjà théorisée en 1933 par Fritz Zwicky. Elle donne à l’astrophysique l’une de ses révélations les plus importantes.
Le mystère reste entier
Si elle a éclairci le mystère de la matière noire tout en ridiculisant machos et réacs, elle laisse quand même une énigme derrière elle. Vera Rubin et sa considérable contribution à la recherche n’auront jamais obtenu de prix Nobel, et ce malgré les efforts de son entourage pour soumettre sa candidature au comité.
Au Huffington Post américain, l’astronome Emily Levesque déclare: “Le prix Nobel de physique tel que l’a défini Alfred Nobel récompense la découverte la plus importante dans le domaine de la physique. Si la matière noire ne répond pas à cette description, je ne sais pas ce qui le peut.”
Il y a un mystère encore plus grand. Le nombre de femmes lauréates du Nobel de physique, pourtant créé en 1901, se comptent sur les doigts d’une main. Sur les deux doigts d’une main. Étrange. Il faudra sans doute encore beaucoup de Vera Rubin pour faire bouger les choses.
Visuels : (c) Carnegie Institute DR