La chronique de Jean Rouzaud.
Depuis les jeux du cirque dans l’Empire romain, on comprend l’intérêt des gouvernants à divertir les foules, les amuser, afin qu’ils votent pour vous et… se contentent de davantage de spectacle.
Se divertir paraît anodin, mais c’est là (aussi) que se crée des réflexes, des accoutumances et des façon de (ne pas) penser…
Films gores, porno, séries, publicités…
Souvenez-vous de la déclaration d’un haut responsable télé à propos du « temps de cerveau disponible des téléspectateurs, pour la publicité… » Pas besoin d’images subliminales (cachées) pour piéger le spectateur, inconscient de tout ce qui se joue lorsqu’il regarde passivement.
Les éditions L’Échappée sortent un deuxième tome de 340 pages qui porte sur les séries télévisées, les jeux vidéo, la « gamification » (game=jeu) des activités sociales, la consommation, les séries, les films gore et enfin l’industrie du porno ! (le premier tome portait sur le sport, la pub, le tourisme…)
Plongée dans nos jardins secrets, afin d’en comprendre les rouages et la technique de ceux qui cherchent à nous influencer… vers le bas ! Usant et abusant de nos soi-disant peurs et frustrations.
Tels des anges gardiens, les auteurs de ce livre collectif nous lancent toutes sortes d’alertes : au matraquage, à la mauvaise qualité, au mensonge, au trucage, aux contre-vérités, chapitre par chapitre.
L’exemple du cinéma « gore » est exemplaire : faux, exagéré, sidérant, hautement voyeur et sadique, choquant à l’extrême… Qui peut vraiment « aimer » ces images de tortures, d’horreur, d’abomination ? Mais il se vend bien et écrase, par la sidération, d’autres scénarios plus subtils.
Jouer au lieu de réfléchir
Mais ce livre nous parle aussi des musées et de tous les écrans dont on les affuble : le visiteur peut aller poser des questions, faire défiler des images, reconstituer un temple en 3D, parcourir des cartes sur ce qu’il visite… et ne regarde plus les œuvres, car il subit l’injonction d’une participation imposée, à travers des écrans interactifs faiblards !
Le visiteur-spectateur joue au lieu de réfléchir, et fait défiler des images au lieu de se concentrer sur celles qu’on lui propose déjà, à grand frais !
Le livre fait l’inventaire de ces « avatars de la culture de masse » (toutes sortes d’exemples, de rappel, citations et auteurs, bétonnent cette dérive), car ces détournements sont de plus en plus nombreux et laminent nos sociétés, en nous domestiquant en douce !
Bien sûr cela semble paranoïaque de se méfier de tout, même des jeux, mais c’est parce que personne ou presque ne se méfie, que nous assistons à ces avalanches d’excès, à buts mercantiles, dont le credo est : immédiateté, facilité.
Il y a même toute sorte de « collabos », de faux experts et philosophes du néant pour nous expliquer qu’il y a de la démocratie dans tout cela et que le porno, comme le gore, sont des domaines « rebelles » !!! (toute armée d’envahissement se fait précéder par ses prêtres-esclaves pour nous préparer et nous vendre la bonne parole…)
Il n’y a aucun partage dans tout ça, ni aucune rébellion : les provocations d’aujourd’hui sont répétitives, attendues et inoffensives.
Si vous souhaitez prendre un peu de recul et avoir enfin des arguments, et des tonnes d’exemples, pour repenser ces conquêtes du marketing sauvage et ces envolées de gadgets paralysants, voici donc une petite bible historique de contre-culture de ces vingt dernières années.
Oublions le militantisme, ce livre est un constat. Ça vaut le coup d’y penser maintenant.
Divertir pour dominer. La culture de masse contre les peuples. Éditions L’Échappée. 340 pages. 15 euros. Dirigé par Cédric Biagini, et Patrick Marcolini. Collection « Pour en finir avec ». Chapitres : séries TV, jeux vidéo, cultures extrêmes, consumérisme, arts. Chaque auteur fait un historique de son chapitre, et cite penseurs et philosophes afin d’en démêler le sens… ou son absence.
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