Lorsqu’une IA reproduit la voix de Kanye West sur une musique de Lana Del Rey, à qui reviennent les droits d’auteurs ? Cette même IA qui se nourrit de toutes les œuvres pour exister… et qui pompe donc tout un peu gratos. Pour réguler l’intelligence artificielle, des choses sont déjà sur la table.
Le résultat est bluffant. Il y a quelques jours sur YouTube sont apparues 32 minutes de chansons. Nom d’artiste ? Aisis. Style musical ? Un copié-collé d’Oasis, des voix des frères Gallagher, Britpop et guitares comprises.
Sur TikTok, le titre « Heart On My Sleeve » cartonne depuis plusieurs jours. On y reconnait les voix de Drake et The Weeknd. Pourtant, aucun des deux artistes ne se cache derrière ce titre. L’intelligence artificielle est en train de révolutionner l’industrie musicale, et ce, d’une manière vertigineuse. Au point qu’Universal, l’une des maisons de disques les plus importantes, se soit fendu d’un mail aux plateformes de streaming pour leur intimer d’interdire aux sociétés d’IA d’utiliser leur catalogue musical. Car qu’un robot soit capable d’imiter un artiste ou reproduire à l’identique le style musical de l’un d’eux n’est pas le seul problème : les IA ont aussi besoin d’énormes bases de données pour s’éduquer et apprendre. Et ça, à qui ça profite ? Personne.
« On est dans un monde où l’on peut s’attendre à ce qu’il y ait des actions possibles », admet Sophian Fanen, journaliste aux Jours et auteur de Du mp3 à Deezer, la musique libérée. « Et là où ça sera le plus délicat, c’est lorsque ces IA justement se nourrissent sur des millions d’œuvres existantes ou des bouts de chansons », souligne-t-il. Et quid de l’usurpation d’identité des artistes ? Lorsqu’une fausse voix imite celle de Kanye West sur un morceau de Lana Del Rey, qui est véritablement « l’artiste » et à qui reviennent les royalties ? « C’est une violation de la personnalité vocale », nous dit Sophian Fanen. « Pour qu’il y ait violation des droits d’auteurs, il doit y avoir une composition, des paroles, une musique… ici, c’est une chanson qui n’existe pas. » Il y a donc un vide juridique… et il semble urgent de poser le problème sur la table.
Créer un nouveau cadre
C’est l’objectif du Syndicat National des Éditions Phonographiques (SNEP) qui nous confie être en train de se structurer sur le sujet. « On suit les travaux européens en cours, l’Artificial Intelligence Act, le projet de règlement de Bruxelles… », signale Alexandre Lasch, directeur général du SNEP. Aussi, le syndicat a rejoint une association littéraire et artistique internationale qui regroupe des professionnels engagés sur ces thématiques. En somme, le secteur s’organise et le dialogue se fait à tous les niveaux : juridique, business et artistique. De la même manière que cela a été fait dans les années 90 lors de l’avènement du sampling : « à l’époque, on samplait librement des œuvres. C’était fascinant et passionnant mais ça se faisait sans demander l’autorisation aux artistes que l’on samplait. Il a fallu une succession d’actes juridiques pour créer un nouveau système de rémunération » se souvient Sophian Fanen.
L’avenir de l’industrie musicale ?
D’autant que l’intelligence artificielle peut être un formidable outil. « C’est l’avenir de l’industrie » va même jusqu’à dire Alexandre Lasch. Et pour cause : on utilise déjà beaucoup l’IA dans le domaine. Pour repérer les faux streams, par exemple (entre 1 et 3% des écoutes sur les plateformes de streaming seraient des faux streams). L’intelligence artificielle est une vraie opportunité, un « outil d’assistance à la création » pour Alexandre Lasch, « la prochaine frontière créatrice de la musique », pour Sophian Fanen. Il semble donc urgent de sécuriser juridiquement le secteur car comme le souligne le journaliste…. « le problème avec l’IA c’est que ça va très vite et ça ira beaucoup plus vite que le droit. »