La chronique de Jean Rouzaud.
Intitulé simplement Space Funk- Afro Futurist Electro Funk in Space 1976-1984, cette ressortie de morceaux tirés de labels indépendants des années 70 et 80 est une sorte de rareté, typique des débuts de l’électronique dans la musique de danse afro-américaine.
Il ne faut pas oublier que à cette même époque, le pape Stevie Wonder allait sortir en 1978 son double album Songs in the Key of Life, rompant avec la tradition Soul de la Motown pour passer à des expérimentations électroniques…
Wonder, ayant tout tenté en arrangements et instruments, voulait absolument de nouveaux « sons » pour exprimer ses idées (deux ingénieurs électroniciens lui servirent de « taxi » technique pour le faire). Herbie Hancock participa, et en sortit changé.
Sun Ra, Funkadelic, Afrika Bambaata…
Rappeler Sun Ra (et son orchestre cosmique) dès les années 60, ou Funkadelic et les dérives de George Clinton autour de la galaxie Funk au tout début des seventies, ou encore les attirances d’Afrika Bambaata pour Kraftwerk, Circa 1977, c’est mieux comprendre ce qui pouvait relier la Soul et l’Électro, dès ces époques.
Ma modeste culture ethnographique me rappelle que chez les Peuls et les Dogons (Mali, Niger), la cosmogonie religieuse accorde une place immense à la galaxie, à ses dieux et mythes, le ciel étant le grand livre de lecture des peuples d’Afrique, dès l’Antiquité.
Non seulement les Afro-américains ont donc un lien culturel avec le cosmos, sur le plan spirituel, mais le cinéma avec ses effets (dans les nombreux films de science-fiction US des années 50) et les nouvelles technologies des claviers, orgues, instruments bizarres à effets audio, guitares et orgues électriques, puis synthétiseurs de sons, ont enfin permis à de nouvelles « ambiances » de naître.
Il n’en fallu pas plus pour que bien des groupes et labels se lancent dans cet Afro-futurisme, avec combinaisons spatiales argentées, et sur des bases de disco, R&B, avec des choeurs Soul, mais enrobés de Bips, voix robotiques, scratches, boucles, effets… Le Space Funk était né, lourd de passé Disco Funk, mais avec des quantités de touches supersoniques !
Le label londonien le plus curieux, Soul Jazz, extrait donc de cette couche seventies-eighties, une quinzaine de morceaux étranges, extrêmement métissés Dance-Electro, avec des effets de computer Old School (moog ?), assez touchants.
« Kryptonite » auditive
Avec des groupes oubliés : Robotron, Solaris, JUJU & the Space Rangers, Jamie Jupitor, the Sonarphonic… mais dont certains ont insisté dans cette voie, ont plané sur cette rare « Kryptonite » auditive, ou le Vocoder côtoie les violons, et le break dance naissant se mélange à un Disco Funk de base.
Un vrai collector, un inclassable post psychédélique pour danser, un CD paradoxal, avec des antennes — le premier vrai Rasta que j’ai rencontré (et filmé), en pagne de plumes (!) et en plein bush jamaïcain, m’a expliqué que ses Dreadlocks (ses tresses) lui servaient d’antennes et qu’il sentait toutes les forces telluriques à travers elles, dont des éclairs électriques !!! — qui le relie à l’espace !
Space Funk- Afro Futurist Electro Funk in Space 1976-1984. Quinze morceaux (+ deux bonus sur la version vinyle). Soul Jazz Records. Avec Leo, The Sonarphonic, Santiago, Frank Cornilius, Juju & the Space Rangers, Jamie Jupitor, Solaris, Copperfield, Robotron 4, Ernest Flippin II, Funk Machine, Ramsey 2C-3D, Osé, Below Zero Band, Rodney Stepp.
Mention au dos de la pochette : « The radar is reporting an electronic star of mutant Funk and space Boogie. Space invaders are all around ! »
Visuel en Une – Sun Ra © Getty Images / Frans Schellekens