Paquito & Sandro Lorier Gypsy Trio, Jazzy Bazz, Dinos, Jean-Louis Murat, Helena Hauff, Chapelier Fou Ensemb7e… des nouvelles de Lorraine, et de la 49e édition du très animé Nancy Jazz Pulsations.
Depuis bientôt 50 ans, en Lorraine, les premières fraîcheurs qui gagnent la région sont annonciatrices de pulsations à venir. On le sait, on le sent, on en frissonne d’avance. « En général, à Nancy, quand on remet le manteau, c’est que NJP arrive ! », confie Thibaud Rolland, directeur et programmateur d’un festival — avant lui, c’est Patou Kader qui tenait les rênes — qu’il a d’abord connu en tant que stagiaire, avant d’en prendre la direction il y a quatre ans. Dont deux ans de Covid.
Nancy
Avec la pandémie, il y a deux ans, l’association qui gère le festival a dû réorganiser le site du Parc de la Pépinière (l’épicentre du festival), d’où on parvient depuis la splendide place Stanislas (construire en 1755 et inscrite au patrimoine mondiale de l’UNESCO), autour d’un chapiteau géant de 3 000 places et un Magic mirror (un cabaret en bois type Cabaret Sauvage) de 500 places.
Pour le reste, si l’on n’organise plus de concerts dans des garages de Mirecourt depuis un moment (une ville de 5 000 habitants, dans les Vosges, où le saxophoniste Dexter Gordon était venu jouer !), d’autres lives ont lieu, depuis des lustres, dans toute la Lorraine, mais aussi dans des écoles, dans des hôpitaux, dans des prisons. À Nancy intra-muros, le festival se déploie dans toute la ville : dans les bars en journée, dans des théâtres, dans la SMAC locale (L’Autre Canal), à l’Opéra et même dans la Basilique Saint-Epvre, où se produira bientôt November Ultra, le même soir que L’Entourloop, Biga*Ranx, Vitalic ou Ambrose Akinmusire. Près de 180 concerts pour 140 artistes. Vertige.
« Dès son lancement en 1973, le festival se voulait éclectique », rappelle Thibaud. Il l’est peut-être plus encore aujourd’hui qu’avant, constate-t-on. La manière de consommer de la musique a changé, les genres musicaux qui vont avec. Au NJP (Nancy Jazz Pulsations, le terme est réservé à ceux qui ne sont jamais venus ici !), comme partout, on s’est adapté. « Ray Charles est venu ici en 1973. Puis Daft Punk en 1997. Puis ce furent les débuts de M ou ceux de Camille. Ce soir, dit-il, quelques heures avant le volcan en fusion que deviendra le Chapiteau du Parc de la Pépinière, c’est une scène rap quasiment inédite dans l’histoire du festival qu’on a décidé de monter ».
Jazz
Un festival de jazz, avec Eesah Yasuke, Jazzy Bazz et Dinos à l’affiche, et une armée de kids pour les acclamer ? C’est 2022. C’est la confusion éternelle, aussi et surtout, qui entoure ce mot qui veut tout, et surtout rien dire : jazz.
« Le jazz est aujourd’hui influencé par les genres musicaux qu’il a lui-même enfantés. La soul, la house, le hip-hop, les musiques progressives, doivent énormément au jazz. » Des musiques sœurs parfois, cousines à la limite. « On veut montrer de la musique jazz jouée debout comme à New York, au New Morning, le jazz que l’on vit vraiment ! ». Au NJP, c’est comme à Montreux ou à Vienne, « c’est une vision plutôt globale de la musique en APPUYANT sur le jazz ».
Bref. Plutôt que de se lancer dans une énième discussion sur ce qu’est le jazz et sur ce qu’il n’est pas (tentez d’avoir le même débat avec les termes « rock », « rap » ou « électro », pour voir), retenons le mot « Pulsations », car c’est peut-être plutôt celui-là, le mot le plus important.
Thibaud : « La musique est, le plus souvent, basée sur un rythme. 60 BPM, 80 BPM, 120 BPM, 170 BPM… Le Be-Bop, comme sur des vieux Charlie Parker, pouvait monter à 220 BPM ! J’aime bien le fait que cela concerne tous les genres musicaux possibles. »
Les BPM, les pulsations, les cadences, les rythmes, au NJP, divergent ainsi considérablement d’un concert à un autre. Et c’est cette diversité de style qui fait aussi la richesse d’un rendez-vous qui a le mérite de convoquer un public d’une diversité notable, où les têtes d’affiches sont rares (Bernard Lavilliers, Melody Gardot, qui jouait à l’Opéra) et la programmation pointue.
Pulsations
Salle Poirel (du nom de l’architecte qui a bâti, fin XXe, le lieu comme un « théâtre à l’italienne »), on assiste d’abord jeudi soir au concert de Chapelier Fou, le producteur et musicien auquel on doit quelques pièces d’exception (« Darling, Darling, Darling », « Fritz Lang », « Cyclope & Othello ») et qui ré-interprétait à Poirel, comme sur le disque paru cette année, son répertoire avec l’Ensemb7e. À la place des habituels synthés, échantillonneurs et sorcelleries électroniques habituellement utilisés dans la musique du Chapelier, ce sont harmoniums, clarinettes et métallophones qui s’invitent au théâtre. Les jeux de lumières éclaboussent des rosaces suspendues au ciel, les notes volent haut, jusqu’à l’étage, le public les attrape lorsqu’elles montent. Quelques moments de grâce nous emportent loin, là où l’esprit divague et se laisse porter par un-je-ne-sais-quoi si fort qu’il nous dépose autre part.
Tiens, nous voilà avec Murat. Le chanteur auvergnat, très familier du festival (déjà passé à NJP en 2002, 2004 et 2015) présente son dernier album en date, La vraie vie de Buck John, un cowboy, héros de jeunesse de Jean-Louis, dont on suit les aventures. Des amours bâtis sur des sentiers branlants, des voyages initiatiques, des quêtes sans issues. Le propos est pop, rock, jazzy, fait de longues plages progressives (« Jean Bizarre », « Chacun sa façon » ou encore « Frankie », issu de son album Morituri) et de quelques hauteurs (« Ma babe », « Chacun sa façon » et la très chouette « Marilyn et Marianne », dans lequel circulent Bob Dylan, Barry White, Jupiter, Jésus-Christ, Ravaillac…)
Le lendemain, toujours à Poirel, c’est l’esprit du jazz manouche qui prend le relai. Le guitariste hollandais Stochelo Rosenberg en seconde partie et avant lui, un quatuor (bien qu’annoncé en trio) attachant et talentueux : Paquito Lorier et son fils Sandro s’inspirent de Django Reinhardt, du Be-Bop, de la Bossa d’Antonio Carlos Jobim et bien sûr, du flamenco de Paco de Lucia. Des standards du jazz manouche, d’autres issus du répertoire du père et du fils. Le plus jeune présente certains morceaux, pousse parfois la chansonnette. Les doigts, sur les guitares et la contrebasse, circulent vite. Suspendus au-dessus du quatuor, des carrés, des triangles inversés, des ronds, des points d’exclamation aux couleurs chaudes donnent la sensation de comètes. Des airs d’Andalousie en Lorraine. Le monde est vaste. Le monde est proche.
NANCY VOUS ÊTES TROP CHAUDS
Puis, direction le Parc de la Pépinière où, entre le midi et le début de soirée, le panorama a changé. Le coin était calme, le temps était bon, le ciel était bleu et le soir, c’est un foutoir. Entre Poirel et le Chapiteau, la moyenne d’âge a doublé. Triplée même, peut-être ? Les uns payent aujourd’hui les retraites des autres. La roue tourne.
« NANCY VOUS ÊTES TROP CHAUDS », répète dès qu’il le peut Jazzy Bazz, bien chaud lui aussi et surpris par l’intensité de ceux qu’il appelle « les kids », eux qui, chauffés par le live d’Eesah Yasuke, connaissent sur le bout des doigts (collés au smartphone, la plupart du temps) les lyrics des morceaux issus de Memoria (beaucoup de samples jazz, ça tombe bien), troisième album de cet ancien du collectif L’Entourage (Nekfeu, Alpha Wann, Deen Burbigo). « Peu importe sa durée, le plus important, c’est que ma vie soit intense », rappe-t-il. « Vous êtes là ou quoi ? ». Ah ouais Nancy est là. Tout le monde les bras en l’air, du bruit, encore du bruit, bon gros bordel, quelques classiques genre « 5 heures du matin » ou « 64 mesures de spleen », le rappeur qui slame, porté par la foule qui fait bouger la fausse, les gradins, les tripes de ce rappeur qui œuvre avec « avec son cœur et sa conscience ». Avec beaucoup de talent, aussi.
Puis vient Dinos, seul sur scène (pas de back) avec un jeu de lumière sobre, minimal. Le rappeur a « quitté le tié-car », vient défendre son album Stamina (+ Stamina, Memento)… et annoncer son album à venir, Hiver à Paris (apparemment, il y a des CD et des vinyles prévus pour tout le monde, ne vous privez pas). Il indique aussi une date à l’Accor Arena (le 10 mars, vous êtes conviés), tombe par certains moments dans l’ego trop (c’est comme l’ego-trip, mais en un peu trop), termine lui aussi dans la fosse. « Le bonheur est dans les choses simples », assure-t-il pourtant. On veut bien le croire.
« J’la ferai tant qu’on n’aura pas foutu le feu sur ce morceau, Nancy ! », il prévient au moment d’entonner « Xnxx », l’un de ses tubes. « Les Champs Élysées brillent avec la lumière de l’Afrique / Des anges avec des gilets pare-balles vi-ser dans ma street / J’veux changer de galaxie même pas changer de pays / Mes paupières tremblent seules, j’suis nerveux comme le GTI / Des larmes sur le sol, du sang sur le mur ». On recommence. Plusieurs fois. Ouais, ça fini par marcher, et pas qu’un peu. Dans la fosse, encore. Énergie folle, rage barge, cordes vocales qui manquent de se briser. On finit sur un uppercut qui laisse tout le monde k.o.
BPM
À quelques mètres du Chapiteau, au Magic Mirrors cette fois, les kids terminent la soirée fracassés par le le live de Makala (un rappeur suisse d’origine congolais, qui s’y connaît en bringues d’afterwork). D’autres ont réservé leur place à L’Autre Canal, la SMAC nancéienne en périphérie de la ville (tu passes le canal, dix minutes à pied, c’est bon), la soirée est placée sous l’emprise des 140 BPM de la musique techno. Les pulsations sont d’abord l’œuvre du très underground collectif nancéien CTL!, qui fête ses dix ans (bon anniversaire à eux). Dans la salle, des genres d’étoiles au plafond et des lumières stroboscopiques. C’est un autre monde où il semble facile de se percher. Puis, à côté, le set de l’Hambourgeoise Helena Hauff, qui mixe l’électro, l’EBM, la techno, le post-punk, tout ce qui peut faire pulser les corps. Après, c’est le trou noir.
Jusqu’à ce soir. À votre tour ! Aujourd’hui : Piers Faccini, Anne Paceo, Jungle by Night ou Nina Attal… et tous les soirs jusqu’au samedi 15 octobre. Faites vos jeux, serrez les coudes : vous serez environ 100 000 personnes sur ces deux semaines de Nancy Jazz Pulsations.