La Nouvelle Vague n’a pas écrêté qu’en France. La preuve par trois films iconoclastes signés d’un maître yougoslave oublié.
C’est quoi être libre au cinéma ? La question se pose toujours aujourd’hui mais était encore plus prégnante dans les années 60, quand la plupart des pays se rebellaient contre des carcans sociaux, moraux ou politiques.
En France, avant-même mai 68, la Nouvelle vague a donné le la d’un cinéma qui voulait tout faire voler en éclats. On en oublie souvent qu’ailleurs aussi, ce mouvement-là était en cours. Et forcément plus encore dans des endroits loin de connaître les 30 glorieuses.
A minima dans des pays de l’Est étriqués par des régimes communistes. Dans ce qu’on appelait encore la Yougoslavie, on l’a appelé la Vague noire. Les films de Dušan Makavejev sont pourtant haut en couleurs, quand ils auront allumé une mèche transgressive, pour faire péter la forme et le fond. Embrasser le politique et l’érotique. De quoi refaire le portrait du régime du président Tito, façon tête à Toto dans des objets singulier tenant à la fois de la comédie féroce et du désespoir face à une société corsetée.
Reste qu’à la longue, le cinéma de Makavejev se résumait surtout à quelques moments dantesque dans des films tournés loin de chez lui, comme ce Sweet movie resté dans les annales pour sa séquence où Carole Laure nue se roulait dans des hectolitres de chocolat.
La réapparition de ses trois premiers long-métrages qui font rejaillir la sève d’un cinéaste bien plus provocant que ce qu’on pensait. L’homme n’est pas un oiseau, Une affaire de cœur et Innocence sans protection, culbute les principes usuels de narration. Ici on fait se chevaucher images documentaires et romance en milieu ouvrier, on zèbre de couleur les bobines du premier film parlant serbe, on perturbe un mélo avec des vrais-faux exposés de sexologue ou de médecin légiste.
Trois déflagrations avant-gardistes avec lesquels Makavejev s’ auto-intronisait enfant naturel de l’insolence d’un Jean Vigo et du surréalisme à la Bunuel, mais surtout s’imposait dynamiteur des règles à la manière d’un anarchiste théorisant la lutte des classes avec un mordant sens de la dérision ou celui d’une énormité rabelaisienne. Le tout traversé par une quasi-schizophrénie, quand qu’il s’agisse de raconter les amours fugitives d’un ingénieur et d’une coiffeuse, d’une employée des PTT et d’un dératiseur ou de retrouver un Mr Muscle vilipendé par le régime nazi, ce cinéma alterne pulsions de vie et de mort, l’obscène et la pureté.
Le plus sidérant, au-delà de la découverte de ces trois films quasi-invisibles depuis leur sortie, reste la puissance formelle de leur avant-garde libertaire, l’audace encore intacte d’un triptyque resté bouillonnant. À la hauteur d’un cinéaste qui décrivait dans des interviews, la Yougoslavie comme un pays de Brigands, de pirates, d’hérétiques et de rebelles. Soit tout ce qui peut faire un cinéma vibrant, vivant, libre donc.